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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Ervin Laszlo (suite et fin)


Les changements dans la culture des entreprises

Hiérarchie et partage des responsabilités

L'ancienne culture
L'entreprise doit opérer telle une hiérarchie disciplinée dans laquelle les dirigeants décident seuls des paramètres de la planification et du fonctionnement.

La culture naissante
L'information et la prise de décisions doivent être décentralisées au travers d'une structure semblable à un réseau dans laquelle les gens les mieux placés par rapport à une tâche spécifique ont la responsabilité de décider de la meilleure façon de l'accomplir.

Contrôle et autonomie

L'ancienne culture
Un contrôle extérieur doit être rigoureusement appliqué à toutes les phases du travail par des chefs, des spécialistes et si possible par des procédures de contrôle automatisées.

La culture naissante
Des détachements et des équipes de travail semi- autonomes peuvent se voir chargés d'un auto-contrôle et d'une auto- discipline, à l'intérieur de subdivisions largement auto- gérées et ramifiées.

La machine et l'humain

L'ancienne culture
L'être humain est une extension peu fiable des machines qui, elles, sont en revanche fiables. Il devrait être remplacé quand et partout où cela est possible par l'automatisation.

La culture naissante
L'être humain est un facteur crucial à chaque stade de l'entreprise, et il est irremplaçable même par les meilleurs ordinateurs ou des systèmes gérés par ordinateurs.

Tâches routinières et emplois de responsabilité

L'ancienne culture
Le travail humain à tous les stades doit être limité à des qualifications simples et spécialisées, tout en automatisant le processus du travail et en le rendant contrôlable et fiable au maximum.

La culture naissante
On doit confier au personnel de l'entreprise des tâches et des responsabilités étendues, en tenant compte de son caractère et de ses aptitudes manuelles et intellectuelles.

Rôles complémentaires des sexes

L'ancienne culture
Les femmes conviennent mieux aux emplois non qualifiés ou peu qualifiés, aux tâches répétitives des chaînes d'assemblage, aux fonctions de secrétariat et au nettoyage.

La culture naissante
Les femmes doivent être amenées à tous les niveaux de qualification et de responsabilité, en tirant parti de la complémentarité essentielle des sexes en matière de personnalité, d'aptitude et d'intérêt.

L'affaire des affaires

L'ancienne culture
Le but des affaires c'est les affaires ; le reste n'est que composition d'étalagiste nécessaire aux bonnes relations publiques et à l'image auprès des consommateurs.

La culture naissante
Le but des affaires c'est le bien des employés, des fournisseurs et des clients; et, en fin de compte, le bien de la société tout entière.


Les marques de la nouvelle culture corporative sont évidentes à tous les niveaux d'activité et d'organisation des entreprises, comme par exemple :

Le mode d'organisation est passé de la hiérarchie à une structure en réseau;

La direction des affaires autrefois de type autocratique, s'est répartie au sein de l'organisation;

La structure corporative est passée d'une tendance hostile au changement, à une attitude toujours plus favorable à l'innovation;

La définition des objectifs, auparavant réservée aux cadres supérieurs, s'est étendue à un large cercle de collaborateurs;

La compétitivité ne se base plus uniquement sur l'abaissement des coûts et l'accroissement de la productivité, mais sur la R & D (recherche et développement), l'innovation et l'économie de temps;

Les objectifs des cadres, se préoccupant alors exclusivement de profits et de parts de marché, se sont tournés vers la qualité et la satisfaction de la clientèle;

La ressource fondamentale, elle-même, ne relève plus de la disponibilité de capital, mais des gens et de l'information;

Les attentes de la main-d'oeuvre changent aussi, ne se limitant plus à la seule sécurité financière, mais visant à trouver un emploi ayant un sens et permettant une progression personnelle.

Le changement de culture corporative a eu le plus grand retentissement dans le domaine de l'environnement. Les responsables des affaires écologiques, tout comme ceux des affaires de la consommation, ont rejoint les équipes de direction des plus grandes entreprises.

Aux alentours de 1990, cent pour cent des entreprises internationales hollandaises et la majorité des grandes sociétés allemandes et japonaises avaient un membre de leur conseil d'administration chargé des responsabilités environnementales.

Dans certains secteurs de l'industrie, directeurs et vice- présidents (les plus anciens) consacrent jusqu'à un tiers de leur temps aux problèmes écologiques.

Les jeunes cadres qui intègrent une équipe de dirigeants d'une société ont un état d'esprit différent de leurs aînés, les facteurs socio-écologiques font partie intégrante de leur sens des affaires.

De plus en plus de sociétés entreprennent de coûteuses réformes dans la création et la fabrication de produits satisfaisant aux critères écologiques qu'elles s'imposent à elles-mêmes. Une industrie totalement nouvelle est en train de naître.

Elle s'occupe de produits biodégradables et organiques, de substances inoffensives pour l'environnement, du recyclage de matériaux réutilisables et du nettoiement des aires polluées existantes. Cette "industrie de l'Âge de la Terre" dégage un chiffre d'affaires de plus de cent milliards de dollars et emploie deux cent mille personnes rien qu'aux États-Unis.

Changement de paradigme pour la science

Les sciences contemporaines, la physique et la cosmologie surtout, ont connu de nos jours plusieurs "révolutions", à commencer par la révolution de la relativité d'Einstein, au début du siècle.

La toute dernière est particulièrement profonde. Les graines en furent semées vers le milieu du siècle, mais elles ne sont arrivées à la floraison que depuis dix à quinze ans. Cette révolution touche à la manière dont les scientifiques voient le monde.

Le point essentiel en est que le monde n'est pas tel un gigantesque mécanisme - ainsi qu'il était perçu dans la mécanique classique, la physique de Newton qui a régné pendant trois siècles - mais plutôt tel un vaste organisme. Comme dans un organisme chaque partie affecte chacune des autres parties, de même dans l'univers naturel chaque atome, chaque galaxie, a un effet sur chacun des autres atomes et chacune des autres galaxies.


Le changement de paradigme de la science

(Par rapport à l'analyse des choses et des systèmes du monde réel)

Le paradigme mécaniste
Le tout est complètement réductible à ses parties (il est intégrable en raison de l'addition des caractéristiques de ses parties) : c'est-à-dire que "le tout est la somme de ses parties".

Le paradigme organique
Le système tout entier n'est pas réductible à ses simples parties (il a des propriétés propres relativement aux propriétés de ses parties) : c'est-à-dire que "le tout est quelque chose de plus que la somme de ses parties".

Le paradigme mécaniste
Toutes choses découlent de la causalité linéaire (de A à B, puis à C).

Le paradigme organique
Les éléments des systèmes sont liés par la causalité mutuelle (boucles et cycles causatifs).

Le paradigme mécaniste
Toutes choses peuvent être analysées à partir de causes simples... et toutes les causes et tous les effets peuvent être distingués.

Le paradigme organique
Les processus inclus dans les systèmes ont de multiples causes; on ne peut distinguer les causes et les effets de manière rigide (ce qui a été une cause peut devenir un effet et vice- versa).

Le paradigme mécaniste
Il n'y a pas de buts intrinsèques (les programmes, s'ils sont donnés, sont introduits de l'extérieur).

Le paradigme organique
Les systèmes ont des visées intrinsèques ("programmes" et tendances de comportement et de développement).

Le paradigme mécaniste
Les parties sont interchangeables : les permuter ne change pas les propriétés du tout.

Le paradigme organique
On ne peut échanger les parties sans changer les propriétés du système dans son unité.

Le paradigme mécaniste
Les parties sont extérieurement reliées entre elles (ce qu'une partie représente n'est pas déterminé par ses liens).

Le paradigme organique
Les parties sont mutuellement constituées (ce qu'est une partie dépend de ses rapports avec les autres parties).

Le paradigme mécaniste
Les frontières sont clairement définissables (les objets et les environnements sont séparables).

Le paradigme organique
Les limites entre les systèmes sont floues (reconnues seulement par des fonctions parallèles en énergie, matière, et par des échanges d'information entre le système et son milieu).

Le paradigme mécaniste
Les niveaux d'organisation sont clairement distincts et hiérarchiquement liés entre eux.

Le paradigme organique
Les niveaux organisationnels s'interpénètrent et sont synarchiques (ayant des centres de décision multiples plutôt qu'un haut commandement).


Le changement de ce qui est maintenant connu comme le "paradigme" de la science touche le genre de connaissance que produisent les savants, et par conséquent au type de technologies engendrées par la connaissance scientifique.

Les applications technologiques de la science sont bien connues : les miracles de l'électronique, le laser, la communication globale instantanée, la production robotisée, la biotechnologie et autres spécialités du genre sont hautement manifestes.

Mais il est d'une égale importance de reconnaître que la vision du monde qui sous-tend ces merveilles de la technologie est très différente de celle qui a généré le levier et la machine à vapeur.

Partant de ces nouvelles disciplines et de cadres scientifiques - tels que la cybernétique, la théorie générale des systèmes, la thermodynamique hors équilibre, la cosmologie du Big Bang, la dynamique non-linéaire, la théorie de l'évolution générale et les théories du chaos et de l'auto-organisation - les scientifiques sont en train de développer une vision de la réalité organiquement unifiée.

Obtenir une image du monde unifiée a toujours été l'ambition des poètes et des philosophes. De nos jours, certains chercheurs scientifiques particulièrement obstinés se consacrent à l'élaboration de théories unifiées.

Dans les concepts qui en émergent, les êtres humains font partie de la nature et du cosmos, au même titre que la plus grande galaxie et que le plus petit atome.

La réinterprétation dans la religion

Les changements se produisent aussi dans le domaine de la religion. Il y a une véritable renaissance spirituelle en maints endroits du monde, avec des gens, jeunes ou vieux, qui explorent de nouvelles approches des anciennes doctrines ou qui apportent des conceptions nouvelles.

Dans certains cercles universitaires, une nouvelle théologie se profile : elle tente de mettre les dogmes classiques en harmonie avec la science. D'éminents théologiens réalisent que les cosmologies promulguées par la science offrent un contexte normatif permettant de guider et d'énergétiser la société.

Les nouvelles visions du monde et cosmologies pourraient nous indiquer ce qu'est le monde, comment il a évolué, et vers quoi il tend. Il est de plus en plus reconnu que le nouveau paradigme scientifique remplaçant la vision mécaniste et organique du monde pourrait devenir une source de créativité et de spiritualité pour l'humanité.

La nouvelle théologie propose une réinterprétation de la nature du divin. Elle conteste l'idée que Dieu puisse être extérieur à Sa création. Ce point de vue y est remplacé par le concept de l'immanence de Dieu dans tout l'Univers.

Une spiritualité divine est intrinsèque à toutes choses, de l'atome à l'homme. Elle inspire les êtres humains de l'intérieur, plutôt que de les commander d'en haut.

Un tel concept, qui fait partie intégrante de traditions spirituelles non occidentales, n'est pas étranger à la chrétienté : il est dans le naturalisme de Saint François d'Assise, tout comme dans l'évolutionnisme du biologiste jésuite Pierre Theilard de Chardin.

La nouvelle théologie nous dit que les forces évolutionnaires oeuvrant dans le cosmos sont également à l'oeuvre dans notre psyché. Nous pouvons réaliser une toute nouvelle compréhension de notre parenté avec la nature, un sens plus profond des origines de l'homme.

Il nous est possible de parvenir à la perception de ce que, pour agir de manière responsable dans ce monde, nous devons comprendre la part plus profonde de notre être. L'immanence du divin dans un univers matériel-spirituel évoluant d'une manière organique peut revitaliser la société et procurer à chacun des indications sûres.

La société est en effervescence. De nouveaux mouvements émergent à profusion : l'éco- féminisme, l'écologie profonde, l'éco-philosophie, l'éducation environnementale, les droits des animaux...

Des milliers d'organisations s'activent en traduisant cette émergence de connaissances sociales, écologiques, corporatives, scientifiques et spirituelles, en projets de mise en pratique dans les domaines du social, de l'économie, de l'écologie et de la politique.

Ce sont là les signes d'espoir du monde contemporain. Voilà la souplesse et la créativité de l'esprit humain. Soumis aux chocs et aux crises, les gens ne sombrent pas dans un pessimisme passif, ni ne s'accrochent à des idées dépassées.

Ils se battent afin de découvrir de nouveaux modes de pensée et d'action. Le défi que nous devons relever est de faire en sorte que les valeurs et les idées nouvelles ne restent pas seulement au niveau de la compréhension, mais qu'elles pénètrent dans la politique gouvernementale, dans la stratégie de l'entreprise, dans le choix du consommateur et dans l'attitude du citoyen.*


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