Ervin Laszlo (suite et fin)
Les
changements dans la culture des entreprises
Hiérarchie
et partage des responsabilités
L'ancienne
culture
L'entreprise doit opérer telle une hiérarchie
disciplinée
dans laquelle les dirigeants décident seuls des
paramètres de la
planification et du fonctionnement.
La
culture naissante
L'information et la prise de décisions doivent être
décentralisées au travers d'une structure semblable
à un
réseau dans laquelle les gens les mieux placés par
rapport
à une tâche spécifique ont la
responsabilité de
décider de la meilleure façon de l'accomplir.
Contrôle
et autonomie
L'ancienne
culture
Un contrôle extérieur doit être rigoureusement
appliqué à toutes les phases du travail par des
chefs, des
spécialistes et si possible par des procédures de
contrôle
automatisées.
La
culture naissante
Des détachements et des équipes de travail semi-
autonomes peuvent
se voir chargés d'un auto-contrôle et d'une auto-
discipline,
à l'intérieur de subdivisions largement auto-
gérées
et ramifiées.
La
machine et l'humain
L'ancienne
culture
L'être humain est une extension peu fiable des machines qui,
elles, sont
en revanche fiables. Il devrait être remplacé quand et
partout
où cela est possible par l'automatisation.
La
culture naissante
L'être humain est un facteur crucial à chaque stade de
l'entreprise, et il est irremplaçable même par les
meilleurs
ordinateurs ou des systèmes gérés par
ordinateurs.
Tâches
routinières et emplois de responsabilité
L'ancienne
culture
Le travail humain à tous les stades doit être
limité
à des qualifications simples et spécialisées,
tout en
automatisant le processus du travail et en le rendant
contrôlable et
fiable au maximum.
La
culture naissante
On doit confier au personnel de l'entreprise des tâches et des
responsabilités étendues, en tenant compte de son
caractère et de ses aptitudes manuelles et
intellectuelles.
Rôles
complémentaires des sexes
L'ancienne
culture
Les femmes conviennent mieux aux emplois non qualifiés ou
peu
qualifiés, aux tâches répétitives des
chaînes
d'assemblage, aux fonctions de secrétariat et au
nettoyage.
La
culture naissante
Les femmes doivent être amenées à tous les
niveaux de
qualification et de responsabilité, en tirant parti de la
complémentarité essentielle des sexes en
matière de
personnalité, d'aptitude et d'intérêt.
L'affaire
des affaires
L'ancienne
culture
Le but des affaires c'est les affaires ; le reste n'est que
composition
d'étalagiste nécessaire aux bonnes relations
publiques et
à l'image auprès des consommateurs.
La
culture naissante
Le but des affaires c'est le bien des employés, des
fournisseurs et des
clients; et, en fin de compte, le bien de la société
tout
entière.
Les marques de la nouvelle culture corporative sont
évidentes à
tous les niveaux d'activité et d'organisation des
entreprises, comme par
exemple :
Le mode d'organisation est passé de la
hiérarchie à
une structure en réseau;
La direction des affaires autrefois de type autocratique,
s'est
répartie au sein de l'organisation;
La structure corporative est passée d'une tendance
hostile au
changement, à une attitude toujours plus favorable à
l'innovation;
La définition des objectifs, auparavant
réservée
aux cadres supérieurs, s'est étendue à un
large cercle de
collaborateurs;
La compétitivité ne se base plus uniquement
sur
l'abaissement des coûts et l'accroissement de la
productivité,
mais sur la R & D (recherche et développement),
l'innovation et
l'économie de temps;
Les objectifs des cadres, se préoccupant alors
exclusivement de
profits et de parts de marché, se sont tournés vers
la
qualité et la satisfaction de la clientèle;
La ressource fondamentale, elle-même, ne
relève plus de la
disponibilité de capital, mais des gens et de
l'information;
Les attentes de la main-d'oeuvre changent aussi, ne se
limitant plus
à la seule sécurité financière, mais
visant
à trouver un emploi ayant un sens et permettant une
progression
personnelle.
Le changement de culture corporative a eu le plus grand
retentissement dans le
domaine de l'environnement. Les responsables des affaires
écologiques,
tout comme ceux des affaires de la consommation, ont rejoint les
équipes
de direction des plus grandes entreprises.
Aux alentours de 1990, cent pour cent des entreprises
internationales
hollandaises et la majorité des grandes
sociétés
allemandes et japonaises avaient un membre de leur conseil
d'administration
chargé des responsabilités environnementales.
Dans certains secteurs de l'industrie, directeurs et vice-
présidents
(les plus anciens) consacrent jusqu'à un tiers de leur temps
aux
problèmes écologiques.
Les jeunes cadres qui intègrent une équipe de
dirigeants d'une
société ont un état d'esprit différent
de leurs
aînés, les facteurs socio-écologiques font
partie
intégrante de leur sens des affaires.
De plus en plus de sociétés entreprennent de
coûteuses
réformes dans la création et la fabrication de
produits
satisfaisant aux critères écologiques qu'elles
s'imposent
à elles-mêmes. Une industrie totalement nouvelle est
en train de
naître.
Elle s'occupe de produits biodégradables et organiques, de
substances
inoffensives pour l'environnement, du recyclage de
matériaux
réutilisables et du nettoiement des aires polluées
existantes.
Cette "industrie de l'Âge de la Terre" dégage un
chiffre
d'affaires de plus de cent milliards de dollars et emploie deux cent
mille
personnes rien qu'aux États-Unis.
Changement de paradigme pour la science
Les sciences contemporaines, la physique et la cosmologie surtout,
ont connu de
nos jours plusieurs "révolutions", à commencer par
la
révolution de la relativité d'Einstein, au
début du
siècle.
La toute dernière est particulièrement profonde. Les
graines en
furent semées vers le milieu du siècle, mais elles
ne sont
arrivées à la floraison que depuis dix à
quinze ans. Cette
révolution touche à la manière dont les
scientifiques
voient le monde.
Le point essentiel en est que le monde n'est pas tel un gigantesque
mécanisme - ainsi qu'il était perçu
dans la
mécanique classique, la physique de Newton qui a
régné
pendant trois siècles - mais plutôt tel un vaste
organisme.
Comme dans un organisme chaque partie affecte chacune des autres
parties, de
même dans l'univers naturel chaque atome, chaque galaxie, a
un effet sur
chacun des autres atomes et chacune des autres galaxies.
Le changement de paradigme de la science
(Par
rapport à l'analyse des choses et des systèmes du
monde
réel)
Le
paradigme mécaniste
Le tout est complètement réductible à ses
parties (il est
intégrable en raison de l'addition des
caractéristiques de ses
parties) : c'est-à-dire que "le tout est la somme de ses
parties".
Le
paradigme organique
Le système tout entier n'est pas réductible à
ses simples
parties (il a des propriétés propres relativement
aux
propriétés de ses parties) : c'est-à-dire que
"le tout est
quelque chose de plus que la somme de ses parties".
Le
paradigme mécaniste
Toutes choses découlent de la causalité
linéaire (de A
à B, puis à C).
Le
paradigme organique
Les éléments des systèmes sont liés
par la
causalité mutuelle (boucles et cycles causatifs).
Le
paradigme mécaniste
Toutes choses peuvent être analysées à partir
de causes
simples... et toutes les causes et tous les effets peuvent être
distingués.
Le
paradigme organique
Les processus inclus dans les systèmes ont de multiples
causes; on ne
peut distinguer les causes et les effets de manière rigide
(ce qui a
été une cause peut devenir un effet et vice-
versa).
Le
paradigme mécaniste
Il n'y a pas de buts intrinsèques (les programmes, s'ils sont
donnés, sont introduits de l'extérieur).
Le
paradigme organique
Les systèmes ont des visées intrinsèques
("programmes" et
tendances de comportement et de développement).
Le
paradigme mécaniste
Les parties sont interchangeables : les permuter ne change pas les
propriétés du tout.
Le
paradigme organique
On ne peut échanger les parties sans changer les
propriétés du système dans son
unité.
Le
paradigme mécaniste
Les parties sont extérieurement reliées entre elles
(ce qu'une
partie représente n'est pas déterminé par
ses liens).
Le
paradigme organique
Les parties sont mutuellement constituées (ce qu'est une
partie
dépend de ses rapports avec les autres parties).
Le
paradigme mécaniste
Les frontières sont clairement définissables (les
objets et les
environnements sont séparables).
Le
paradigme organique
Les limites entre les systèmes sont floues (reconnues
seulement par des
fonctions parallèles en énergie, matière, et
par des
échanges d'information entre le système et son
milieu).
Le
paradigme mécaniste
Les niveaux d'organisation sont clairement distincts et
hiérarchiquement
liés entre eux.
Le
paradigme organique
Les niveaux organisationnels s'interpénètrent et
sont
synarchiques (ayant des centres de décision multiples
plutôt qu'un
haut commandement).
Le changement de ce qui est maintenant connu comme le
"paradigme" de la science
touche le genre de connaissance que produisent les savants, et par
conséquent au type de technologies engendrées par
la connaissance
scientifique.
Les applications technologiques de la science sont bien connues :
les miracles
de l'électronique, le laser, la communication globale
instantanée, la production robotisée, la
biotechnologie et autres
spécialités du genre sont hautement manifestes.
Mais il est d'une égale importance de reconnaître que
la vision du
monde qui sous-tend ces merveilles de la technologie est
très
différente de celle qui a généré le
levier et la
machine à vapeur.
Partant de ces nouvelles disciplines et de cadres scientifiques -
tels que la
cybernétique, la théorie générale des
systèmes, la thermodynamique hors équilibre, la
cosmologie du Big
Bang, la dynamique non-linéaire, la théorie de
l'évolution
générale et les théories du chaos et de
l'auto-organisation - les scientifiques sont en train de
développer une
vision de la réalité organiquement
unifiée.
Obtenir une image du monde unifiée a toujours
été
l'ambition des poètes et des philosophes. De nos jours,
certains
chercheurs scientifiques particulièrement
obstinés se
consacrent à l'élaboration de théories
unifiées.
Dans les concepts qui en émergent, les êtres humains
font partie
de la nature et du cosmos, au même titre que la plus grande
galaxie et
que le plus petit atome.
La réinterprétation dans la religion
Les changements se produisent aussi dans le domaine de la religion.
Il y a une
véritable renaissance spirituelle en maints endroits du
monde, avec des
gens, jeunes ou vieux, qui explorent de nouvelles approches des
anciennes
doctrines ou qui apportent des conceptions nouvelles.
Dans certains cercles universitaires, une nouvelle théologie
se profile
: elle tente de mettre les dogmes classiques en harmonie avec la
science.
D'éminents théologiens réalisent que les
cosmologies
promulguées par la science offrent un contexte normatif
permettant de
guider et d'énergétiser la société.
Les nouvelles visions du monde et cosmologies pourraient nous
indiquer ce
qu'est le monde, comment il a évolué, et vers quoi il
tend. Il
est de plus en plus reconnu que le nouveau paradigme scientifique
remplaçant la vision mécaniste et organique du
monde pourrait
devenir une source de créativité et de
spiritualité pour
l'humanité.
La nouvelle théologie propose une
réinterprétation de la
nature du divin. Elle conteste l'idée que Dieu puisse
être
extérieur à Sa création. Ce point de vue y est
remplacé par le concept de l'immanence de Dieu dans tout
l'Univers.
Une spiritualité divine est intrinsèque à
toutes choses,
de l'atome à l'homme. Elle inspire les êtres humains
de
l'intérieur, plutôt que de les commander d'en haut.
Un tel concept, qui fait partie intégrante de traditions
spirituelles
non occidentales, n'est pas étranger à la
chrétienté : il est dans le naturalisme de Saint
François
d'Assise, tout comme dans l'évolutionnisme du biologiste
jésuite
Pierre Theilard de Chardin.
La nouvelle théologie nous dit que les forces
évolutionnaires
oeuvrant dans le cosmos sont également à l'oeuvre
dans notre
psyché. Nous pouvons réaliser une toute nouvelle
compréhension de notre parenté avec la nature, un
sens plus
profond des origines de l'homme.
Il nous est possible de parvenir à la perception de ce que,
pour agir de
manière responsable dans ce monde, nous devons
comprendre la part plus
profonde de notre être. L'immanence du divin dans un univers
matériel-spirituel évoluant d'une manière
organique peut
revitaliser la société et procurer à chacun
des
indications sûres.
La société est en effervescence. De nouveaux
mouvements
émergent à profusion : l'éco-
féminisme,
l'écologie profonde, l'éco-philosophie,
l'éducation
environnementale, les droits des animaux...
Des milliers d'organisations s'activent en traduisant cette
émergence de
connaissances sociales, écologiques, corporatives,
scientifiques et
spirituelles, en projets de mise en pratique dans les domaines du
social, de
l'économie, de l'écologie et de la politique.
Ce sont là les signes d'espoir du monde contemporain.
Voilà la
souplesse et la créativité de l'esprit humain. Soumis
aux chocs
et aux crises, les gens ne sombrent pas dans un pessimisme passif,
ni ne
s'accrochent à des idées
dépassées.
Ils se battent afin de découvrir de nouveaux modes de
pensée et
d'action. Le défi que nous devons relever est de faire en
sorte que les
valeurs et les idées nouvelles ne restent pas seulement au
niveau de la
compréhension, mais qu'elles pénètrent dans
la politique
gouvernementale, dans la stratégie de l'entreprise, dans le
choix du
consommateur et dans l'attitude du citoyen.*
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