Ervin Laszlo
Signs of Hope, traduit de l'anglais par les Humains
Associés
Philosophe des sciences de formation, ancien directeur de
recherche aux Nations
unies, et recteur de l'Académie de Vienne, conseiller
spécial du
directeur général de l'Unesco, est mondialement
connu pour ses
travaux sur la théorie générale des
systèmes. Il
est l'auteur de plus de cinquante ouvrages traduits en plus de vingt
langues.
Voir : Rencontre avec des coeurs remarquables, Ervin Laszlo.
Dans la
sixième parution des Humains associés Entre
l'envol et la
chute, vers une fédération planétaire,
1993/1994,
p.16-20.
Nous vivons en des
temps difficiles - on peut désormais mettre en doute
la survie de l'humanité - mais l'enjeu est toujours entre nos
mains.
Choisirons-nous l'évolution ou l'extinction en tant que
destinée
? La réponse n'apparaît pas encore mais nous avons
des signes
d'espoir. De nouveaux modes de pensée et
d'évaluation se font
jour dans la société ; ils augurent de façons
de
décider et d'agir nouvelles et mieux adaptées.
Bien entendu, les modèles de pensée et d'action ont
toujours
varié au cours de l'Histoire, ainsi que d'une
société
à l'autre, d'une génération à
l'autre.
Mais autrefois, le changement était lent et surtout local.
De nos jours, soumis à l'avancée de la technologie,
nourri par
des courants globaux d'information et de communication, le
changement des
valeurs et des comportements s'accélère et
s'étend
à toutes les parties du globe.
La vague de changement actuelle, en marge, a débuté
au cours des
années 1960 avec le mouvement des femmes, avec les
mouvements du nouvel
âge et des premiers "verts" ; elle s'est étendue
jusqu'au coeur
des milieux dirigeants durant les années 70 et 80, avec
l'arrivée
à maturité des mouvements en faveur de
l'environnement et de la
Sécurité sociale.
Dans les années 90, une grande majorité de
sociétés
industrialisées s'y est trouvée impliquée.
Elle affecte la
pensée et le comportement des citoyens, aussi bien que
ceux des
consommateurs ; les gouvernements et les milieux d'affaires ont
commencé
à y prêter attention.
De nouvelles conceptions dans la société
Le fait que le changement de valeurs s'étende et
s'accélère n'a rien pour surprendre : nos valeurs
dominantes et
nos opinions sur le monde sont basées sur
l'expérience des
sociétés industrielles nationales, et dans la mesure
où ce
type de systèmes économiques et sociaux s'est mis
à
disparaître, les concepts émis au cours de nos
expériences
au quotidien sont sujets à une remise en question. Ceux que
nous sommes
le moins enclins à abandonner sont susceptibles de tomber
en
désuétude.
Au sein des pays industrialisés, de plus en plus nombreux
sont les gens
qui repensent les concepts de base, tels ceux qui touchent à
la nature
de l'intérêt personnel, de l'efficacité,
à la
répartition des richesses, à la valeur des
spécialistes et
au rôle des valeurs et des croyances.
Ils posent la question de savoir, par exemple :
- si ceux qui survivent sont nécessairement les plus forts.
Se
pourrait-il que les survivants soient ceux qui sont le plus en
symbiose avec
leurs semblables, avec la nature ?
- si la véritable efficacité n'est qu'une question de
productivité maximale. L'efficacité
résiderait-elle
plutôt dans la création des biens et des services
humainement
nécessaires et socialement utiles ?
- si la théorie dite de l'écoulement
progressif, selon
laquelle lorsque les riches s'enrichissent davantage les pauvres en
bénéficient aussi est juste. N'est-il pas plus
efficace d'aider
les pauvres et les plus défavorisés en créant
de
meilleures conditions de vie et de meilleures occasions de trouver
un travail
rémunéré et ayant un sens pour eux ?
- si nos problèmes peuvent être mieux résolus
par des
experts qui se spécialisent dans des questions les
intéressant
particulièrement. N'est-il pas exact que les
spécialistes en
savent de plus en plus sur de moins en moins de sujets, avec pour
résultat qu'ils s'exposent à des conséquences
inattendues
et peut-être à des effets secondaires
néfastes, dans la
mesure où certains processus d'une sphère
donnée vont
interférer avec d'autres dans ce monde
d'interdépendance qui est
le nôtre ?
- si les idées, les valeurs et les croyances sont des luxes
réservés à ceux qui peuvent se les offrir,
bons pour
impressionner les épouses, les enfants, les amis et les
associés,
mais pour très peu d'autres effets.
Se peut-il que ce que nous valorisons, et notre façon de
considérer le monde, aient un rôle vital à
jouer dans la
préparation de la voie pour les innovations sociales et
culturelles qui
sont les conditions préalables au progrès en des
temps
d'incertitude et de changement ?
La façon dont les gens envisagent les choses, eux-
mêmes, les
autres, les processus et les rapports, change rapidement.
La carte du monde que nous avons en tête n'est plus celle d'il
y a dix
ans. En ce temps-là, peu nombreux étaient ceux qui
pouvaient se
poser de telles questions sur ces croyances, et encore plus rares
ceux qui
auraient pu penser aux alternatives que nous leur donnons
aujourd'hui.
De
nouveaux concepts pour la société
La
relation homme-nature
Les
idées dominantes
Les êtres humains sont les maîtres de la nature, ils
contrôlent les processus naturels, les plantes et les animaux
en vue de
leurs propres objectifs supérieurs.
Les
concepts qui émergent
Les humains constituent dans la biosphère une partie
organique des
ordres subvenant à leurs propres besoins et assurant leur
propre
évolution, et ne doivent pas aller au-delà de leurs
limites
naturelles.
La
relation mâle-femelle
Les
idées dominantes
La société est dominée par le mâle, et
dès
lors hiérarchisée, utilisant de grandes
concentrations de
pouvoirs et de richesses en tant que moyen de promouvoir les
intérêts décidés par le principe
mâle et
entretenant l'abondance accumulée pour lui.
Les
concepts qui émergent
Le partage et la complémentarité entre les femmes
et les hommes
ont renversé prioritairement les structures du
commandement dans tous
les domaines aussi bien dans les affaires privées que dans
la
sphère professionnelle.
Compétition
et coopération
Les
idées dominantes
L'économie est une arène de combat et de survie ; la
coïncidence entre le bien public et le bien individuel peut
être
attribuée à ce qu'Adam Smith a appelé "la
main
invisible".
Les
concepts qui émergent
La coopération a plus de valeur que la compétition ;
le
génie moderne du travail, avide de profits et de pouvoir,
doit
être tempéré par la mise en valeur des
différences
individuelles.
Fragmentation
et unification
Les
idées dominantes
Les objets sont indépendants de leur environnement; les
personnes sont
indépendantes les unes des autres ; elles sont
remplaçables dans
leurs fonctions économiques et sociales.
Les
concepts qui émergent
Il y a des liens étroits et constants entre les personnes, et
entre les
gens et la nature, qui mettent dûment l'accent sur la
communauté
et la solidarité à la fois dans le monde naturel et
dans celui
des hommes.
Accumulation
et durabilité
Les
idées dominantes
L'accumulation de biens matériels est le comble de
l'accomplissement et
du succès quels qu'en soient les coûts en
énergie, en
matières premières, en ressources humaines et
naturelles.
Les
concepts qui émergent
La valeur maîtresse dans le processus qui se crée
actuellement est
ce qui reste durable ; elle appelle à une grande
flexibilité et
à l'adaptation mutuelle entre les hommes, ainsi qu'entre les
gens et
leur milieu naturel.
La tendance écologique en politique
Jusqu'aux alentours de 1988, les gouvernements des pays
industrialisés
minimisaient les retombées environnementales, craignant
un impact
négatif sur la croissance économique et la
compétitivité globale.
Les régimes de l'Europe de l'Est rejetaient les mesures
écologiques d'un bloc : il ne peut y avoir aucune
dégradation de
l'environnement dans le socialisme.
Certains gouvernements du tiers monde, à leur tour,
proclamaient que les
problèmes de l'environnement sont le fait des nations
industrielles et
qu'elles doivent prendre ces problèmes en charge.
Puis, en 1988, les médias se sont emparés de
l'écologie en
tant que sujet du plus grand intérêt. En une
période de
seulement douze mois, "Earth '88" a été
publié par la
National Geographic Society ; le magazine Time a
consacré son
numéro spécial du nouvel an 1989 à la Terre,
élue
"planète de l'année" ; The Economist publia
une
enquête spéciale sur le "Coût de la Terre"
("Costing the
Earth") ; le Scientific American sortit un numéro
dédié à la gestion de la planète
(Managing Planet
Earth) et le journal The New Yorker fit paraître un
article de
trente cinq pages, intitulé "La Fin de la nature".
À mesure que l'opinion publique commençait
à s'y
intéresser, les politiciens s'empressèrent de
remarquer le
changement d'humeur. Près de la moitié du discours
de Margaret
Thatcher à la Royal Society, en septembre 1988, concernait
le
problème des déséquilibres
écologiques et la
nécessité d'accepter le concept du
développement
économique durable. Dans son discours de décembre
1988 à
l'ONU, Mikhaïl Gorbatchev parlait de la catastrophe
écologique qui
succèderait aux types traditionnels d'industrialisation; la
reine
Béatrice de Hollande consacra entièrement son
discours de
Noël à la nation aux risques écologiques
menaçant la
vie sur Terre.
Aux États-Unis, George Bush désigna un
écologiste
professionnel (William Reilly, ancien président du World
Wildlife Fund
(Fonds pour la vie sauvage dans le monde) comme administrateur de
l'Agence pour
la protection de l'environnement (EPA) dans son cabinet.
Grâce à l'élection d'un défenseur de
l'environnement, à la vice-présidence, Al Gore, la
politique
environnementale est de mieux en mieux informée et joue
un rôle
croissant dans l'administration Clinton.
Bien que dans la plupart des pays l'écologie politique reste
confuse et
orientée à court terme, que les secrétaires
d'État
ou les ministres qui en sont chargés aient moins de pouvoir
que les
autres membres de cabinets, l'écologie - comme nous
l'avons vu au
chapitre premier - est l'un des rares domaines où la gestion
d'un
secteur public soit en passe d'être globalisée.
Étant donné la meilleure visibilité et
l'élévation du coût des problèmes
écologiques, le poids des politiques vertes est
vraisemblablement en
train d'augmenter à des niveaux régionaux, nationaux
et globaux
en même temps.
Modifications de la culture corporative
Le monde des affaires présente les signes d'une
transformation
majeure de ce qui est maintenant connu comme "la culture
corporative".
Les changements reflètent une modification des valeurs
dans la
société, mais ils mettent l'accent sur des questions
qui
relèvent directement des entreprises modernes et de leur
contexte
multiple, économique, politique, social et
écologique.
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