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Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

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Jean-Paul Favand (suite et fin)

Dans tous les domaines c'est pareil. On ne peut plus être spécialiste pour comprendre le monde aujourd'hui...
Donc, c'est d'ouvrir les yeux, mais beaucoup plus largement que nous ne le faisons maintenant. Ce que je souhaite c'est que les gens se remettent à voyager et pas forcément en Inde, mais en Auvergne - je suis sûr qu'il y a autant d'aventures à trouver là-bas.

Les aventures, ça forge quelqu'un. Cette question que tu m'as posée, les parents me la posent souvent. Je réponds : action. Il faut passer à l'action, faire des stages, même pas payés.

Les deux ou trois mômes qui sont passés ici - ils étaient payés parce que je refuse de faire travailler quelqu'un sans le payer - étaient agacés, parce qu'ils se faisaient redresser quand on leur disait d'aller un peu plus vite.

En partant, certains ont compris, disant qu'ils avaient fait une expérience, et d'autres pas, croyant qu'ils étaient tombés chez un esclavagiste. Mais ceux-là, ils continueront à s'ennuyer...

Si je dois parler d'une chose qui compte beaucoup pour moi, c'est du Tribulum bistrot. C'était un bistrot dans les Halles où l'on changeait d'exposition tous les six mois.

Deux personnes travaillaient sur la thématique à travers des artistes, des automates, des décors, etc. C'était un endroit où l'on se préoccupait de la façon dont les gens pouvaient se joindre.

Il y avait les cartes de diseuses de bonne aventure, ce qui permettait à un homme de dire à sa voisine : "je vais vous lire les lignes de la main." On les faisait rêver avec des cocktails astrologiques, et il y avait un singe au plafond, tenant dans sa bouche une boule. C'était considéré comme un lieu surréaliste, et c'était ce que je voulais faire, et quelque part j'ai réussi pendant quelque temps.

Je ne travaillais qu'à l'animation du lieu. Résultat, je ne m'occupais pas de la caisse - et dans un bistrot c'est ce qui compte. Mes serveurs m'ont volé un maximum.

C'était un des plus grands bistrots parisiens, et je l'ignorais parce que je n'ai pas vu l'argent. Finalement, je l'ai liquidé à cause de difficultés techniques.

Par contre, je vois, dix années plus tard que le Tribulum est resté mythique, et je rencontre des gens, des artistes, qui me disent que c'était le lieu où ils étaient en permanence.

À l'origine, j'avais trois ou quatre sociétés et je faisais des interventions dans des domaines complètement différents. Et un jour, j'ai décidé de me concentrer, parce qu'on n'arrivait jamais à savoir sur quel terrain je me situais.

Donc, je me suis dis cette fois-ci, je prends une seule cible. Je pensais me concentrer en prenant l'art forain. Je voulais faire le plus simple, et je fais le plus compliqué possible.

Je profite de notre entretien pour me demander si je ne fais pas encore la même chose. C'est-à-dire, j'étais simplement brocanteur et j'avais des manèges à vendre.

Une fois dans ce sujet, j'y ai découvert tellement de transversalité, que lorsqu'on me parle cinéma, je dis : "La fête foraine est le lieu de naissance du cinéma" ; sport, je réponds : "la fête foraine, c'est toutes les formes de sport" ; cochon, je vais dire "Oui, le cochon a été un des sujets les plus illustrés de la fête foraine, après le cheval", etc.

Donc d'un seul coup, cette spécialisation est devenue holistique, et je me retrouve en ce moment à collaborer avec des gens sur la 3-D, le multimédia... Et j'ai voulu monter un musée, un lieu culturel et un institut pour étudier les problèmes de la fête, afin de réintégrer un peu plus d'efficacité dans ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine des loisirs.

Quelque part, il y a une certaine reconnaissance de ma démarche, parce que les parcs d'attraction viennent me consulter.

Quelles sont tes propositions et les bonnes nouvelles pour toi, par ces temps difficiles ?
Je pense que nous sommes entourés de cinquante pour cent de faux problèmes, et que si nous parvenions à nous en dégager, on vivrait mieux.

Qu'est-ce que tu appelles des faux problèmes ?
En fait, il n'y a pas de problèmes mais des choses à faire, des actions à entreprendre pour rectifier et continuer. Le mot "problème" serait pratiquement à bannir ou à proscrire.

Alors, trouvons autre chose. Il y a des choses à faire, des solutions à trouver. Et cela fait partie du système D. Le système D consiste à déplacer un problème et à le résoudre sous un autre plan.

Il est très difficile de trouver des exemples pratiques de tête, sauf, que j'ai l'impression de faire ça toute la journée. C'est-à-dire, ne pas être sur le terrain où l'on t'a appris à être.

La solution vient, pour moi, de la marge, parce que le système est vérolé et coincé, de ceux qui sortent la tête du système de pensée qui correspondait à ce problème ; il faut le sortir de son domaine pour l'aborder de l'autre côté.

L'important est de se mettre en mouvement pour trouver des solutions. Je l'ai fait dix mille fois dans ma vie, et je le fais sur des choses à résoudre de plus en plus importantes.

Donc, c'est très positif parce que c'est quelque chose dont je suis capable. J'estime que je suis la preuve vivante que l'on peut se bagarrer dans les situations les plus compliquées, les pires situations financières, administratives et culturelles, pour s'en sortir et faire avancer un gros projet.

Non seulement je l'ai fait fonctionner, mais je pense avoir réussi quelque chose. Donc, ça aussi c'est une bonne nouvelle. Ça montre que face à cette adversité de l'immobilisme, des problèmes - enfin ceux des autres - j'ai quand même réussi à avancer.

L'autre partie de la chose, c'est que là, si je me mets en jugement moi-même, je crois que globalement, toute mon action pour moi, pour ma vie à moi, est un faux problème.

Les faux problèmes ce sont aussi les raisons ou les justifications qu'on se donne pour faire les choses. Alors que si nous vivions dans une autre situation ou un autre état de pensée, on ne s'embarasserait même pas avec ça.

On va faire un rapport entre deux extrêmes. J'ai des copains qui peuvent être en faillite, avoir tous les ennuis possibles, et qui font la fête de la même manière, en étant heureux. Moi, dans la même situation, je me prendrais la tête.

Quelque part, à la fin de leur vie, ils auront mieux vécu que moi, parce qu'ils auront connu les mêmes ennuis que moi, ils les auront certainement solutionnés de la même manière que moi, mais sans se prendre la tête.

Les faux problèmes peuvent aller jusqu'à se dire qu'on aimerait bien être un baba indien à poil, qui n'a besoin de rien et qui a même réussi à se libérer des liens familiaux. C'est un peu extrême, pour moi qui suis un Occidental attaché à des choses en tant que collectionneur.

Je dirais que c'est sortir d'un système binaire de pensée où il n'y a d'alternative qu'entre ceci ou cela, pour entrer dans une vision plus ouverte et multidimensionnelle, en disant par exemple : "la solution doit être quelque part, à partir du moment où j'élargis mon champ de vision et que j'accepte de regarder dans toutes les directions". En d'autres termes, il nous faut décrucifier notre douloureux schéma mental (rires).
La bonne nouvelle pour moi, c'est aussi le fait que les gens se remettent en question, et qu'on puisse espérer que le futur ne soit pas comme le passé. Je pense qu'à partir du moment où on se remet en question, va se construire quelque chose de plus adapté.

On avait besoin de prendre une grande claque dans la gueule, on vivait, et on vit encore bien sûr, à crédit, sur des choses complètement fictives et factices. Donc, c'est bien de se tourner vers des valeurs plus vraies. Je trouve ça plutôt positif.

Donc la crise c'est une bonne nouvelle ?
Non ! La réaction provoquée par la crise est quelque chose que je considère comme positif, et la crise va permettre d'être très bientôt confronté à la bonne nouvelle.

C'est quand même la crise qui a provoqué ça...
Absolument, sinon on aurait continué comme par le passé.

Et la fête ?
Oui ! Ce qu'on peut trouver comme bonne nouvelle future, c'est qu'une des conséquences, en temps de crise, est que les gens ont besoin de décompresser.

Quand on a besoin de décompresser, on se tourne, entre autres, vers des valeurs plus vraies. Ce n'est pas le même style de fête qui va avoir lieu, peut-être, plus populaire et conviviale.

Les gens se rendent compte un peu plus qu'ils sont capables de bâtir aujourd'hui. La télévision va peut-être entrer dans le coup parce qu'il y aura un moment où les gens en auront marre d'être seuls devant leur poste, et ils auront besoin de voir les autres.

Et voir les autres, c'est à travers les fêtes populaires en général. Pour moi, le nouveau phénomène n'est pas forcément la fête foraine, mais les festivals, nouveau fonctionnement de la fête.

Les gens s'étourdissent, ceci est la conséquence de la crise, c'est ainsi dans chaque époque de crise, c'est ce qu'on a appelé les années folles. Il faut reconnaître que ce n'est pas très positif de s'étourdir, mais en tous cas à ce moment-là, les gens s'expriment.

Voilà le rapport entre la crise et la fête. C'est que la crise provoque la fête, et une fête beaucoup plus nature, vraie, et réelle, moins show business que celles que l'on avait montées.

On peut espérer maintenant qu'il y ait des fêtes de rencontres, un peu plus conviviales et familiales.

Ces fêtes ce n'est peut-être pas seulement pour s'étourdir, il y a comme une symbolique...
Effectivement, nous allons nous retourner vers la fête des fous. Les gens vont avoir besoin de se défouler, pour cela il faudra inverser les valeurs. Je parlais tout à l'heure de participation, je constate des choses ici.

J'ai deux catégories de manèges : ceux où il faut se laisser faire, un moteur les entraînent, et les gens sont très contents d'être dessus ; ceux où il faut pédaler et se balancer et ils préfèrent dix fois ceux sur lesquels il faut faire des choses. Et c'est ce qui manque aujourd'hui.

J'ai lu dans des bouquins professionnels, qu'aux États-Unis, ils restructurent les parcs d'attractions où tout était électronique, en réintégrant la mécanique, des systèmes plus fiables, simples, et plus proches des gens.

Tu veux dire qu'on tente de retrouver plus d'interactivité, un contact physique, et pas au travers du petit écran.
C'est action-réaction, entre autres. Baudrillard a écrit un article là-dessus il y a deux ans, plus il y aura d'ordinateurs, plus les gens auront besoin de se retrouver entre eux.

Parce qu'avec l'écran, on ne participe plus, nous sommes dans l'irréel et le fictif en permanence. L'homme n'a pas été créé pour ça. On ne peut pas dire que l'informatique soit la crise, mais c'est un de nos vécus actuels.

Ce qui m'intéresse, c'est le virtuel. Pour moi, c'est un phénomène contemporain de mode et de technologie. Parallèlement, il faudra compenser avec du réel, les gens ne pourront pas vivre que dans le virtuel.

Tu vois les choses ainsi ?
Oui. Une des raisons pour lesquelles on vire l'électronique des parcs d'attractions, c'est que les gens l'ont chez eux. Ils veulent aller dans les parcs pour se changer la tête, pas pour retrouver ce qu'ils ont à la maison.

Lorsque le virtuel s'intègrera chez nous, on ne le voudra plus dans les lieux de spectacles, etc. Parce que c'est un produit et que ça s'use. Les fêtes du passé se faisaient à une époque où il n'y avait pas une telle accélération de l'Histoire.

Les caractères étaient clairs. Par exemple, la dépense. La dépense correspond à un rituel de sacrifice. Ces dernières années, il y a atrophie et hypertrophie de ces caractéristiques.

Hypertrophie de la dépense, et cela a provoqué la frustration. Lorsqu'on dépense trop, on prend moins de plaisir, parce qu'on pense à ce qu'on a dépensé. Atrophie de la participation, par exemple au carnaval de Nice, on te met derrière des barrières.

Donc, ces modifications qui ont été apportées aux nouvelles fêtes, style un match de tennis, font qu'il n'y a plus du tout de participation. Parce que l'accélération de l'Histoire n'a pas permis de doser toutes ces caractéristiques pour que la fête vive.

Cela a créé des scories qui vont être abondonnées petit à petit, parce qu'il va y avoir une demande et un besoin des gens. Les choses sont allées trop vite. Actuellement, les nouvelles choses qui se créent, ne mûrissent pas assez longtemps.

Résultat, on mange des fruits un peu verts et on finit par en avoir marre. Un travail de fond va se faire pour des choses plus solides. Nous avons besoin d'interventions de ceux qui, comme Baudrillard, pensent, parlent, et qu'on écoute.

Ils créent de nouvelles prises de conscience. Actuellement, tout ce qui est montré par la mode, me fait ressentir que ce sont des choses destinées à s'user très vite.

Je ne dis pas que le virtuel soit négatif, il fait partie de notre époque et de notre mode de vie. Je n'ai pris l'image virtuelle que comme un exemple symbolique. La télévision est aussi du virtuel et déjà nous envahit.

Ce n'est pas l'image virtuelle qui sera mise en cause, c'est globalement la virtualité. Ces produits qu'on nous donne et qui ne correspondent pas à nos besoins, inflationnés par la publicité, rapidement usés et remplacés par d'autres, c'est commandé par la société de consommation.

L'image virtuelle dans les parcs d'attractions ne durera que quelques années, après on trouvera autre chose.

Si tu avais carte blanche pour imaginer une fête, qu'aurais-tu envie de proposer ?
La fête de l'an 2000. Une fête qui fasse que l'on découvre que ce que nous avons en commun dans le monde entier, ce n'est pas seulement la guerre, mais que cela peut être la fête et le dialogue.

Donc, faire une manifestation énorme pour l'an 2000, basée sur le dialogue et la communication, en se servant des techniques contemporaines, malheureusement, mais peut-être aussi des tam-tams.*


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