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Les Fondements de la Physique (Suite)

II- Qu'est-ce que la physique ?

Et bien supposons que je veuille aménager une fenêtre. Il est important que je m'assure que lorsque le vent soufflera, les branches du chêne qui se trouve devant ma fenêtre ne la casseront pas en la heurtant. Mais on comprend qu'il est nécessaire de quantifier cette notion physique de résistance, qu'on pourrait définir ici comme l'aptitude à ne pas casser lors d'un choc avec un objet.

Car supposons que je désire bâtir une cathédrale à Quimper, où le vent souffle souvent en tempête. Je vais commander des vitraux à mon orfèvre favori établi en Provence, mais je devrais évidemment lui faire part des conditions particulières de mon projet. Il ne s'agit pas que tous les vitraux explosent à la première bourrasque !

Si je lui dis simplement : " fais-moi quelque chose de costaud, que ça résiste... ", il sera bien embarrassé. S'il veut être sûr que ça ne casse pas, il n'a qu'à faire un vitrail de 25 centimètres d'épaisseur, mais il va de soi que j'en serais insatisfait, car il n'y aura plus la finesse et la transparence que je recherche. Il est donc important que je quantifie, d'une façon ou d'une autre, la résistance souhaitée.

Par exemple, je pourrais dire : " Tu te souviens de la cathédrale de Reims que nous avons bâtie il y a 32 ans ? Et bien il faudrait que ce soit juste un peu plus résistant ".

En faisant cela, je compare une résistance à une autre. J'en fais une grandeur physique à part entière, en lui attribuant une caractéristique d'ordre mathématique que l'on appelle " relation d'ordre ", et qui consiste à classer les "objets" en disant : " celui-ci est plus résistant que celui-là ", etc...

Mais dans certains cas, je devrai faire encore mieux que cela : si mon ancien ami de la cathédrale de Reims a quitté ce monde et si ses successeurs n'étaient pas présents sur ce chantier, ma comparaison ne vaut plus rien.

Je devrai alors préciser la résistance souhaitée de façon directe, non comparative (attention, il y a ici une imprécision subtile mais fondamentale sur laquelle nous reviendrons : elle concerne la notion d'unités). Je dirai par exemple : " je voudrais que le vitrail résiste si je pose en son centre un poids de 30 kg ".

Et bien voilà ! J'ai donné un nombre. La grandeur physique "résistance" est à présent quantitative. L'orfèvre et moi savons ce que représentent 30 kg et de ce fait, il lui suffira de tester son vitrail avec ce poids pour honorer son engagement.

Bien sûr, s'il connait bien son métier, il saura que pour résister à 30 kg, son vitrail devra faire, mettons, 1,5 centimètres d'épaisseur. Il a ainsi converti la résistance en épaisseur, ce qui est fort utile. Plus n'est besoin de poser chaque fois le poids sur le vitrail, au risque de le casser s'il n'est pas assez résistant, alors que c'est un pur chef-d'oeuvre et qu'il conviendrait parfaitement pour la chapelle de son village...

Ces deux grandeurs physiques, épaisseur et résistance, sont donc reliées. On s'en serait douté ! On aurait même pu affirmer sans grand effort que plus le vitrail est fin, moins il est résistant. Mais cela n'eût point suffit. Il faut ici connaître précisément, quantitativement, le lien entre les deux grandeurs, pour réaliser le vitrail le plus fin et le plus lumineux possible, mais ayant la résistance requise.

L'orfèvre qui connait son métier connait donc, intuitivement au moins, la loi numérique qui relie la résistance du vitrail à son épaisseur. Comment la connait-il ? Par transmission du savoir d'abord : son maître la lui a enseignée, ou faite sentir.

Par intuition, ensuite, et, corrélativement, par expérience : c'est en forgeant qu'on devient forgeron ! Toujours est-il qu'il la connait, et que la physique, à ce titre, fait partie de sa vie quotidienne. Mais en quoi le physicien peut-il tenter d'aller plus loin ?

Il a fallu du temps pour établir cette loi de correspondance entre résistance et épaisseur. Si un apprenti cherche à se familiariser avec cet art, il peut lui être utile de disposer d'une table numérique donnant l'épaisseur associée à chaque résistance. Par exemple, pour une résistance de 10 kg, il faut 0,5 centimètres; pour une résistance de 15 kg, 0,75 cm; pour 20 kg, 1 cm; pour 30 kg, 1,5 cm...

Deux problèmes se posent alors. Un tableau numérique comme celui que l'on vient de décrire ne peut contenir toutes les valeurs possibles et imaginables des résistances souhaitées.

Par exemple, si je veux connaître l'épaisseur requise pour une résistance de 11,6 kg, cette valeur ne figurant pas au préalable dans le tableau, je dois extrapoler. Pour 10 kg, je sais que c'est 0,5 cm, pour 15 kg, c'est 0,75 cm, je dirais donc "à vue de nez" qu'il faut disons 0,6 cm, mais cette valeur n'est qu'approchée. Le second problème est que notre table n'est valable que pour un matériau bien précis : le verre à vitrail. Et encore !...

Les matériaux évoluent au cours des ages, et le verre du XVIIème siècle permet de faire des vitraux plus minces, pour une même résistance, que le verre du XIème siècle.

La physique peut répondre à ces deux problèmes de la façon suivante. Pour le premier, on peut faire appel à la notion mathématique de " fonction " pour permettre la connaissance de l'épaisseur correspondant à n'importe quelle résistance.

Dans notre exemple, il suffit de dire que l'épaisseur, en centimètres, est 1/20 ème de la résistance voulue en kg, ce qui constitue un premier exemple de loi mathématique. Pour obtenir l'épaisseur correspondant à 11,6 kg, je n'ai qu'à diviser 11,6 par 20.

Nous remarquons, de surcroît, que ceci simplifie considérablement le "stockage" de l'information : on remplace un tableau comportant un nombre indéfini de colonnes par une seule fonction.

Pour le second problème, la tâche est plus difficile, car elle nécessite, au delà de l'intuition ou du constat d'une relation entre épaisseur et résistance, une première compréhension de ce lien. Ce que recherche le physicien, ici, c'est un processus lui permettant de donner la loi épaisseur/résistance pour n'importe quel matériau.

Ainsi, lorsqu'un nouveau verre est découvert, avec de nouvelles propriétés, on peut l'utiliser sans avoir à reprendre depuis son commencement la chaîne intuition-expérience-transmission du savoir. Pour établir cette loi, le physicien cherchera par exemple à comprendre de façon suffisamment intime la structure des matériaux et ce qu'est, "vraiment", la résistance.

Qu'il y parvienne réellement est évidemment plus que douteux, car il lui faudrait "remplir" complètement ce concept, le relier à nombre d'autres dont il n'a probablement pas encore pressenti ou reconnu l'importance.

Mais il est assez remarquable qu'en restant à un certain niveau de généralité, comme lorsque nous avons énoncé un théorème sur le volume relatif des tables et des fourchettes, il soit possible de donner une loi physique permettant le calcul d'une relation mathématique entre l'épaisseur et la résistance d'un matériau qui n'a pas même encore été découvert.

C'est donc à une compréhension, ou plus simplement à une perception intime de la façon dont le monde qui nous entoure est échafaudé que vise la physique. Il s'agit d'organiser, de rendre intelligible les notions qui naissent de notre simple présence au monde.

A ce titre, on ne peut qu'être surpris de voir encore exclu du domaine d'étude de la physique tout ce qui concerne le vivant, ou plus généralement l'Etre. La raison en est simple : le monde que considère la physique aujourd'hui est plus simple d'accès, ou au moins se prête mieux à un certain mode d'approche, de par une forme assez générale d'universalité et de reproductibilité.

Il est d'ailleurs assez remarquable et significatif que pareille limitation ne soit pas d'avantage paralysante. C'était en quelque sorte un pari de penser qu'on pouvait "dire des choses" sur le monde en n'en considérant, pour commencer, qu'une partie arbitrairement délimitée.

Il ne fallait néanmoins pas s'attendre à ce que la démarche mène "jusqu'au bout", et c'est sans surprise, du moins pour ceux des physiciens qui n'ont pas oublié ce qu'ils faisaient, que les développements les plus subtils de la physique conduisent à des problèmes conceptuels importants et buttent sur des difficultés d'interprétation fondamentales.

La reformulation des résultats de la physique dans un cadre plus large, tenant compte d'une façon ou d'une autre de la réalité existentielle du monde, semble donc être le prochain pas à accomplir.

A cet égard, les résultats de la métaphysique seront plus que certainement d'une grande utilité puisque c'est l'Etre, précisément, qui la concerne. Et nous pouvons d'ores et déjà songer que dans un proche avenir, ces deux disciplines soeurs se rapprocheront de façon bien plus systématique.

Avant de conclure, je souhaiterais prendre un dernier exemple qui, je l'espère, convaincra le lecteur que la notion de loi physique est quotidiennement présente en chacun de nous, à un niveau beaucoup plus fondamental encore que celui de la technologie ou de la technique.

Elle se trouve au coeur même de notre représentation du monde, et plus encore, elle est en réalité constitutive de notre présence en le monde matériel, et à ce titre, ici-bas, elle ne saurait en aucune façon être écartée.

III- La physique et le monde matériel

Commençons par une remarque qui, étrangement ou heureusement, a cessé de nous surprendre : sur Terre, chaque fois que je lâche un objet, il tombe !

Ceci est une loi qualitative. Mais supposons que je fabrique un instrument appelé horloge et qui consiste par exemple en un balancier soumis à un mouvement pendulaire que je perçois comme régulier.

Je décide de dire qu'il s'est écoulé une unité de temps (par exemple une seconde) lorsque le balancier a fait un aller-retour. S'il fait quatre aller-retours, je dirai qu'il s'est écoulé quatre unités de temps, et ainsi de suite. Puis je prends un bâton et décide que sa longueur vaut une unité (par exemple 1,25 mètres).

Pour étudier la loi qualitative de la chute des corps, je prends une pomme et je la lâche d'une hauteur de une unité de longueur au dessus du sol. J'observe alors le balancier de l'horloge et constate qu'il a effectué un demi aller-retour avant que la pomme ne touche le sol. Il s'est donc écoulé une demi unité de temps.

Je prends une autre pomme et je refais l'expérience : je trouve à nouveau la même valeur, une demi unité de temps. Soit ! Je recommence... encore pareil ! Et encore. Au bout de 1967 fois, toujours la même valeur. Au bout de 2 667 327 fois, encore !

Cela ne m'assure aucunement que la fois suivante, il en sera de même, pas plus que je ne puis affirmer que demain matin, après 4,5 milliards d'années, le soleil se lèvera à nouveau sur la Terre, mais on conçoit que d'un point de vue pratique, il peut-être utile de se dire que " chaque fois qu'on lâche une pomme d'une hauteur de une unité de longueur, il s'écoule une demi unité de temps avant qu'elle ne touche le sol ".

D'ailleurs, quand bien même la fois suivante la pomme mettrait deux fois plus de temps pour tomber de la même hauteur, ou ne tomberait pas du tout, il n'en serait pas moins signifiant que toutes les fois précédentes, le même phénomène s'est répété, aussi bien qualitativement que quantitativement, dans la limite de la précision des mesures.

L'idée de loi vient donc de l'observation de phénomènes qui se répètent de façon identique dans des circonstances semblables. Mais allons plus loin. Lorsqu'on veut se servir un Pommard 1963, un dimanche en fin d'après midi sous un figuier par 27 degrés à l'ombre, on débouche la bouteille, on l'incline au dessus d'un verre (après le temps de respiration requis bien sûr), et on n'est nullement surpris de voir le vin couler dans le verre, et s'y "immobiliser" !

Mais voilà une loi physique, et chacun la connait. Nous connaissons même une loi beaucoup plus générale : lorsqu'on incline un récipient ouvert à sa partie supérieure et contenant un liquide, celui-ci se déverse hors du récipient et tombe vers le sol.

En disant cela, nous sommes physiciens d'un niveau déjà avancé, car nous avons compris que le phénomène que nous avons observé en nous servant du Pommard 1963 n'était lié ni au fait qu'il s'agissait d'un Pommard, ni à l'année des vendanges.

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