Tatiana F
<<Ceux qui ne comprennent pas une chose assurent qu'elle est
inutile>> Rumi (in Les Soufis, par Idries Shah, aux
éditions Payot, 1979, p.113)
Parmi les foules somnambules, Ainsi chantent les fols
d'amour: "Sur la route, nous aurons des difficultés, on les
résoudra. Nous aurons des souffrances, on les supportera. Nous
risquerons gros, on prend les risques. Nous deviendrons des êtres humains
ou nous mourrons à la tâche."
Notre ami et maître Ibn El Arabi (1164-1240) aime dire que "les anges
sont les pouvoirs cachés dans les facultés et les organes de
l'homme". En d'autres termes : "Les anges sont les développements
les plus élevés de l'esprit"(op.cit p.
129).
Rumi, maître soufi du XIIIe siècle, nous rappelle que
"l'humanité a une incomplétude, un désir et elle lutte
pour l'accomplir à travers toutes sortes d'entreprises - plus ou moins
hasardeuses - et d'ambitions. Mais c'est seulement dans l'amour qu'elle peut
trouver l'accomplissement et l'état angélique..."(op.cit p.
243)
Pour la compréhension qui m'habite, l'élément premier, qui
n'est pas entièrement profané, voire pollué, est
l'étincelle de conscience qui existe en chaque-un de nous.
Son développement-embrasement réactive l'intelligence du coeur
et, en nous dépouillant de notre fourrure, de notre queue et de nos
oreilles pointues, comme dirait Idries Shah, transforme notre animalité
en humanité vraie. L'Occidental que nous sommes est
désorienté, perdu, largué. Ce phénomène
n'est pas géographique. "Il y a autant d'oriental en Occident, que
d'occidental en Orient", comme dirait Henry Corbin.
L'Orient est le lieu d'où vient la lumière; dans ce sens,
oriental est celui qui se tourne, s'oriente, se détermine par
rapport à cette lumière qui, dans la tradition chrétienne,
"luit dans les ténèbres, éclaire tout homme" et
transforme chaque-un - qui accepte de la recevoir - en
être capable d'amour.
Cela étant signifié, je vous invite à enjamber avec moi,
la fenêtre de l'Occident. Nous voici parmi les foules somnambules. Que
voyons-nous ? En ce qui me concerne, je vois que nous avons des yeux pour ne
pas V.O.I.R et que cet aveuglement prend deux formes apparemment distinctes,
mais qui en réalité ne font qu'une.
La première, c'est l'habitude qui fait qu'à force de
conditionnements de toutes sortes, on finit par ne plus se poser de questions
sur la vision. Car, n'est-ce pas qu'on nous a appris qu'il suffit d'avoir des
yeux pour voir ?
De ce fait, on "regarde" certes, mais de travers... à travers...
La deuxième, c'est l'égoïsme né de la peur de perdre
(ce que l'on ne possède pas d'ailleurs) qui fait qu'à force de ne
pas vouloir voir - autre que moi - on finit par rendre inexistant tout ce et
tous ceux qui nous dérangent.
L'oeil vague, l'oreille sourde, bouche muette, coeur indifférent...
L'autre et son malheur se dématérialisent, ce n'est plus un homme
en détresse, mais un cauchemar fantomatique et laid, dont il nous faut
nous débarrasser au plus vite.
Pour les sceptiques, il est conseillé de descendre dans
l'underground de nos villes, là où errent les exclus de
tous bords, pour constater cela. Il faut le voir pour y croire... comment un
demandeur d'aide acquiert un statut d'invisibilité aussitôt qu'il
tend la main dans le métro, par exemple.
C'est vraiment "extraordinaire", un vrai "miracle" qui se produit sous nos
yeux. Mais je conviens que pour voir, il faut avoir l'oeil, l'oeil du coeur
bien entendu.
Pour moi la bonne nouvelle la voilà... Il s'avère que cet
oeil-là existe parmi nous, il existe parmi quelques uns de
ceux-là mêmes qui sont dans notre monde occidental,
refoulés en marge; chez certains enfants, les poètes, les
artistes, les simples en esprit, et surtout chez les fous. Comme partout
d'ailleurs, il y a différentes catégories, les
énumérer serait de ce fait pure folie, car dans un monde de fous,
tout est faux et fou, ou presque...
Les étiquettes ne m'attirent guère, bien au contraire. Toutefois
pour les besoins de "ma" cause, je veux bien, pour une fois, me-nous coller
celle de fous d'Humanité. Fols d'Amor.
J'entends déjà les rires ironiques des autres fous s'exclamant -
l'expérience m'a appris que même s'ils ne le disent pas, ils n'en
pensent pas moins -"Les voilà, les Humains associés, une fois de
plus ils jouent à la dialectique amoureuse en se donnant le beau
rôle." Ainsi vogue le navire et comme dirait M.C. je m'en balance
amoureusement.
"Je vais donc vous parler de moi, de nous". Les fous d'amour, ce sont tous ceux
qui avec intrépidité marchent obstinément vers
l'impossible rêve, là où les fous de l'objectivité
rationnelle sont dissuadés d'avance par leurs évidences, leurs
certitudes réalistes et logiques du non-sens d'une telle
démarche.
Les fous d'humanité sont tous ceux qui s'aventurent dans l'Utopie dite
à la française de la fraternité humaine, de la paix
universelle, du progrès pacifique, des droits de l'homme, de
l'égalité naturelle, avec la certitude inébranlable (signe
qu'ils sont véritablement fous d'ailleurs) de l'existence d'une
réalité d'amour à partir de laquelle l'impossible cesse de
relever de l'absurde improbable, pour devenir évidence. Ils ne redoutent
pas de s'aventurer là où leur coeur leur dit d'aller, et
guidés par la conscience, ils ouvrent les portes de l'inaccessible .
La profonde et entière confiance qu'ils placent en l'amour se traduit en
force intérieure qui leur permet de concrétiser l'impossible
utopie, la folle entreprise d'une humanité solidaire et fraternelle...
Vous m'aviez comprise j'espère. Ce numéro, qui fête
d'ailleurs les dix ans d'existence des Humains associés, est un
numéro de fous adressé aux fous, nos semblables, nos
frères.
Dans un monde où rien n'a plus de sens, nous les fous d'amour, nous
savons que le non-sens demeure du non-sens tant que nous n'avons pas
découvert le point de vue qui lui donnera un sens.
Notre point de vue nous a permis de regarder, d'écouter, de voir,
d'entendre et de sentir les bonnes nouvelles porteuses d'espérance et de
preuves que tout ne va pas pour le pire dans le plus fou des mondes.
Alors, fous d'humanité, acceptez-vous de descendre de l'Arbre de la
désolation, et d'oeuvrer à construire un monde de
fraternité et d'amour en vous, autour de vous, au nom de nous ?
Folie tout cela, certes, mais y a-t-il une autre aventure, une plus belle
aventure pour un fol être humain ?
Comme toujours chez nous, il appartient à chaque-un de chercher
la réponse en soi.
Toutefois, je vous pose une dernière question, "Si ce n'est ainsi
qu'il faut faire, quoi faire ? Et si ce n'est pas maintenant, quand alors
?"(Primo Levi) .
Fol aimant vôtre,
Tatiana F.
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