Paola Antolini Ethnologue de formation, consultante à
l'Unesco, et à la Commission des Communautés
Européennes. * Au-delà de la rivière, Nathan, Paris,
1992.
L'une des questions les plus complexes de cette fin de siècle, est la
cohabitation entre êtres humains: il n'y a jamais eu dans l'histoire
autant de personnes déplacées et plus nombreuses encore sont
celles qui cherchent refuge ailleurs. L'humanité explose. Une
accélération démographique nous amènera à
six milliards en l'an 2000. À cette époque, près de la
moitié de la population mondiale vivra dans les villes.
Déjà les métropoles sont le lieu où les
défavorisés se réfugient le plus souvent et où il
est épouvantable de vivre. Éloignés du regard, ils
occupent souvent des îlots insalubres, appelés aujourd'hui
"quartiers sensibles", où certaines conditions d'handicaps sont
réunies. Le décor ici est fait de ségrégation
sociale et ethnique, chômage, pauvreté, absence de transports,
disfonctionnements, déliquance. La plus grande partie d'entre eux sont
près de zones industrielles et environ deux tiers sont à la
limite des communes. Ce sont pourtant ces lieux qui exercent la fascination la
plus irrésistible sur les déshérités. Ainsi,
réfugiés, immigrés, paysans et minorités rejoignent
dans les grandes villes, ceux qui ne les entendent pas. Cela autorise
d'étranges spéculations sur le destin des autres.
Le grand défi que la civilisation européenne doit se donner
à la veille de la suppression des frontières entre les
États de la Communauté, est de retrouver les valeurs de ses
principes démocratiques, propres à la Déclaration des
droits de l'Homme. L'organisation de la vie en commun, entre individus,
sociétés et États, passe à travers
l'intégration des pauvres, immigrés et exclus de toutes sortes.
Ces victimes de l'exclusion sont également la priorité de
l'initiative "une fédération planétaire". En effet, les
Humains Associés font preuve de volonté et d'imagination dans ces
domaines et cette initiative peut devenir rapidement exemplaire.
Tout a été dit de l'augmentation de la pauvreté, de
l'immigration croissante, de la démographie, des réfugiés,
bref du besoin de ceux qui n'ont rien, à se rendre dans les territoires
de ceux qui ont quelque chose. Promesse ambiguë, la ville
européenne est perçue tout à la fois comme le lieu de
richesse et celui de la liberté. Le déracinement, souvent
accompagné par une progressive clochardisation, est le prix
d'accès à l'occidentalisation et à la ville. En
réalité, ceux qui n'ont rien restent fréquemment
condamnés aux marges, par de grandes infrastructures - autoroutes, voies
ferrées - qui créent une coupure urbaine, accentuée par la
distance qui les sépare des équipements du centre. La population
y est en général jeune: plus du tiers des habitants ont moins de
vingt ans (dont la moyenne urbaine avoisine généralement le
quart). Les couples qui y habitent ont plus d'enfants et l'implantation
ouvrière et celle des couches sociales défavorisées y est
très élévée.
Plus un seul habitant d'Europe qui ne se sent concerné par cette
présence des "autres". Les différences socioculturelles sont
difficilement acceptées et peuvent apparaître parfois comme des
menaces. L'économie de marché, l'immense flux migratoire de l'Est
et du tiersmonde dû à l'occidentalisation forcenée, ont
fini par désorienter les individus. L'idéologie de repli ou de
défense dans la nouvelle organisation économique
planétaire, s'accommode de celle de la productivité à
outrance en se reflétant dans l'intolérance des écrans
culturels. Néanmoins la civilisation en Europe a toujours
impliqué la co-existence de plusieurs cultures, tout en offrant le
maximum de diversité.
Il faut donc agir contre l'exclusion de toute urgence, favoriser l'intégration
et la dignité des catégories marginalisées. Développer
une politique d'intégration signifie ne plus ignorer les enjeux de son
ampleur et par conséquent, de son risque d'explosion sociale. L'initiative
"une fédération planétaire" a le souci de contrer l'idéologie
de l'exclusion. À partir d'une éducation patiente on peut assurer
la nécessaire articulation entre l'unité dans la diversité,
pour construire à l'aube du troisième millénaire, une civilisation
multiculturelle, éliminer donc toute discrimation et prévenir
les conflits en multipliant les contacts et les échanges, dans le respect
de la pluralité. Cette construction est à refaire tous les jours.
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