Ettore Gelpi — Conscience Terrienne
Ettore Gelpi — 1933-2002
Accepter les contradictions, refuser les compromis imposés est une bonne école pour assumer des responsabilités face à soi-même et aux autres
Vivre – Peur et crainte d’autrui engendrent guerre et mort.
A l’impossible cohérence, préférons créativité-amour. Résister à la violence, cédons à la force de la poésie.
Marchés des rues, lieux de rencontres privilégiées, réunissez à nouveau les êtres; que le travail et le loisir se libèrent de leur malédiction. Pourquoi travail-contrainte, loisir-pêché ou ennui!
Inventons un demain sans torture, abolissons le désir de tuer; que chaque mois égrène un bilan des missiles détruits, de prisonniers libérés, de lieux de torture convertis en jardin, de puits, d’eau potable et de nourritures garanties.
Et ces objectifs atteints, la fête ne sera plus évasion-fumée d’alcool mais fête vraie, joie et plaisir permanents.
Luttons amis pour que tous les geôliers, les tortionnaires et les pelotons d’exécution soient au chômage, et que tous les chômeurs trouvent leur pain quotidien de travail.
Cent mille poètes en plus
Cent mille généraux de moins
Et ces millions de litres de lait, de tonnes de sucre et de blé – échangeons, troquons, dédommageons.
Et ces millions de bombes, petites, moyennes, et grandes (noires, rouges, jaunes, vertes, bleues, blanches, orange).
Où sont ces nouveaux comptables, il nous les faut, nous en avons besoin.
E.G — Chercheur et formateur international d’une conscience terrienne — 1983
PENSÉE COMPLEXE
La construction d’une identité terrienne est un objectif qui requiert une pensée complexe et ouverte. Il ne s’agit pas de faire fi du passé, des guerres et des violences, mais au contraire, sur la base de connaissances approfondies des héritages coloniaux, de l’histoire des luttes de classes, et des agressivités réciproques entre pays, il est possible de voir et d’anticiper certaines politiques qui vont dépasser l’histoire et non l’ignorer.
La pensée complexe est nécessaire parce qu’il faudra vivre dans le cadre de contradictions multiples en les assumant et en les dépassant. Un peuple est composé d’envahisseurs et de populations qui ont refusé la violence d’autrui. La pensée complexe nous permet de déchiffrer, dans toutes ces contradictions, le développement économique, scientifique et technique; elle nous aide aussi à comprendre la contradiction de l’être humain qui peut être, en même temps, créateur et destructeur dans ses fonctions de producteur et de consommateur.
L’éducation à la pensée complexe n’est pas toujours favorisée par le pouvoir, car elle peut devenir l’instrument critique dont les populations pourraient se servir.
Les guerres permanentes – auxquelles nous assistons notamment en cette époque considérée comme une période de paix – sont également le résultat d’un manque de pensée complexe de la part des populations qui acceptent ces guerres déclenchées par leurs leaders au nom des « valeurs ».
La société contemporaine est en face de phénomènes qui s’appellent: catastrophes naturelles ou provoquées involontairement par l’homme, chômage structurel, nouvelles épidémies, multiplication des conditions de marginalité, destruction des ressources naturelles et humaines, et en même temps, avancement extraordinaire de la capacité de l’être humain dans le domaine de la communication sous toutes ses formes et de la manipulation positive et négative de la nature. Encore une fois, la pensée complexe peut contribuer à éviter de tomber dans le désespoir ou dans l’optimisme béat fondé sur une confiance démesurée en la science et surtout en la technologie.
Ettore Gelpi — Humain Associé et Citoyen du Monde
Conscience Terrienne, Mc Coll Publisher, Florence, 1992.
http://www.humains-associes.fr/No6/HA.No6.Gelpi.html
Ettore Gelpi — 1933-2002
Éducateur social « terrien » comme il aimait à se définir, expert à l’UNESCO, universitaire et surtout homme de terrain, a laissé une oeuvre considérable d’agitateur d’idées, et encore d’animateur culturel et d’éducateur, toute entière marquée par sa capacité à penser le rapport dialectique entretenu par les trois pôles: pensée/action/culture qu’il n’eut de cesse de travailler dans une réflexion partagée avec ses interlocuteurs des cinq continents.
http://www.ettoregelpi.org/
3 commentaires
Merci pour ce texte d’une pertinence et d’une actualité rares (mais habituelles, sur le site des Humains Associés !). La pensée occidentale, et notamment la pensée scientifique, n’ont jamais reculé devant la complexité, mais ce fut toujours pour la réduire, pour la résoudre. Ordonner, simplifier. Tels sont les maîtres mots. Souvent très efficaces et très utiles, avec des accomplissement remarquables. Mais certains domaines résistent à cette approche – et c’est tant mieux ! En particulier, la complexité humaine est souvent négligée, voire niée, et des catastrophes en résultent… et en résulteront tant que nous n’aurons pas accepté d’élargir nos esprits réducteurs et catégoristes à la “pensée complexe
C’est étonnant, le lyrisme et le pragmatisme de ce texte ! J’ai l’impression que c’est exactement ce dont nous avons besoin, réenchanter nos rapports tout en faisant preuve d’esprit hyper pratique. Ettore Gelpi, savait bien de quoi il parlait, lui qui a sans cesse confronté dialectiquement son « utopie » au terrain. Sa dialectique au moins, n’a pas ce côté parfois un peu stérile, qui décortique la chose sans en extraire le jus. Il n’est pas que de l’écorce mais aussi du cœur. C’est ce que je comprends quand il nous dit que la peur d’autrui nous fait nous retourner contre nous-mêmes. Quand il nous dit que c’est l’accès à la pensée complexe qui peut nous rendre à la simplicité des rapports humains associés.
J’ai le sentiment qu’il nous parle de quelque chose, la vraie coopération entre les hommes, qui n’existe pas encore, sauf en de rares occasions, par exemple chez les humains associés, une pratique qui reste entièrement à inventer. Il aimait rappeler que c’est par le réalisme (encore son utopie au quotidien) qu’on peut apprendre la coopération au sens de mouvement des personnes et aussi dans les têtes : « la coopération doit se fonder sur la réciprocité et le transfert de toutes les compétences, et non, comme le disait mon ami sénégalais Sally N’Dongo, récemment disparu, ¨lorsque vous venez chez nous, vous êtes des experts, lorsque nous allons chez vous, nous sommes des immigrés¨. Il faut sortir du système de coopération Nord-Sud engendrant une dépendance croissante et rechercher une équité dans les échanges. »
Yes, je suis d’accord avec Étienne, cette recherche là (pas l’égalité) demande d’accéder à la pensée complexe… et céder à la force de la poésie
Merci pour l’invitation à réfléchir.
Ettore aurait adoré voir ce qui se passe en ce moment… les questionnements, les transformations. C’est amusant de lire ce texte, lui qui était si communiste dans l’âme, car on pourrait y trouver une certaine tonalité spirituelle, non ? 😉
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