La Quête de l’Absolu
Djalâl-od-Dîn Rûmî
Mathnawî
Histoire de la discussion entre les Grecs et les Chinois sur l’art de peindre et de faire des portraits
Ces Chinois disaient : « Nous sommes les meilleurs artistes ».
Les Grecs disaient : « C’est à nous qu’appartiennent le pouvoir et la perfection. »
« Je vous mettrai à l’épreuve en cette affaire, dit le sultan, et je verrai lequel de vous a raison dans cette prétention. »
Les Chinois et les Grecs se mirent à discuter. Les Grecs quittèrent le débat.
Les Chinois dirent alors : « Attribuez-nous une certaine salle, et qu’il y en ait une pour eux aussi. »
Il y avait deux pièces, dont les portes se faisaient face : les Chinois prirent l’une, les Grecs l’autre.
Les Chinois prièrent le roi de leur donner cent couleurs ; le roi ouvrit son trésor afin qu’ils reçoivent ce qu’ils désiraient.
Chaque matin, par sa libéralité, les couleurs étaient octroyées de son trésor aux Chinois.
Les Grecs déclarèrent : « Aucune teinte ni couleur ne conviennent à notre travail. Il ne faut rien que retirer la rouille. »
Ils fermèrent la porte et se mirent à polir : les murs devinrent clairs et purs comme le ciel.
Il y a un « chemin » du multicolore à l’incolore ; la couleur ressemble aux nuages, et l’incolore est une lune.
Quelque lumière et splendeur que tu voies dans les nuages, sache qu’elle provient des étoiles, de la lune et du soleil.
Quand les Chinois eurent achevé leur tâche, de joie ils se mirent à battre du tambour.
Le roi entra et vit les peintures : cette vision, lorsqu’il l’aperçut, ravit ses esprits.
Ensuite, il alla vers les Grecs : ils retirèrent le rideau qui les séparait.
Le reflet de ces peintures et œuvres d’art des Chinois vint frapper ces murs qui avaient été nettoyés de leur rouille.
Tout ce que le sultan avait vu (dans la salle des Chinois) semblait plus splendide ici : cela ravissait le regard.
Les Grecs sont les soufis : ils sont sans études, sans livres, sans érudition.
Mais ils ont poli leurs poitrines et les ont purifiées du désir, de la cupidité, de l’avarice, des haines.
Cette pureté du miroir est, sans nul doute, le cœur qui reçoit d’innombrables images.
Le reflet de toutes les images, qu’elles soient dénombrées ou sans nombre, resplendit sans cesse du cœur seul, et sans cesse chaque nouvelle image qui entre dans le cœur se montre en lui, purifiée de toute imperfection. Ceux-là qui ont fourbi leur cœur ont échappé à l’odeur et à la couleur ; à tout moment, instantanément, ils contemplent la beauté.
Ici, l’entendement devient silencieux, sinon il induit en erreur, car le cœur est avec D.ieu, ou plutôt le cœur, c’est Lui.
Le reflet de chaque image brille éternellement à partir du cœur seul jusqu’à l’éternité, tant dans la pluralité qu’en dehors d’elle.
Jusqu’à l’éternité, chaque nouvelle image qui tombe sur le cœur y apparaît sans aucune imperfection.
Ceux qui ont poli leur cœur ont échappé aux parfums et aux couleurs : ils contemplent sans cesse la Beauté à chaque instant.
Ils ont abandonné la forme et l’écorce de la connaissance, ils ont brandi l’étendard de la certitude.
La pensée s’est enfuie, et ils ont obtenu la lumière : ils ont atteint l’essence et l’océan de la connaissance mystique.
La mort, qui effraie tous les hommes, ces gens la tournent en dérision.
Nul ne remporte la victoire sur leurs cœurs : brise la coquille de l’huître, et non la perle.
De l’empyrée, de la sphère étoilée et du vide, ils reçoivent cent impressions ; quelles impressions ? En vérité, c’est la vision même de D.ieu.
La Quête de l’Absolu – Livre premier
(Reproduit à partir de plusieurs traductions notamment celles d’Eva de Vitray Meyerovitch et Djamchid Mortazavi, des Editions du Rocher et de Raphaël Lefort).
Nota Bene : Idries Shah nous apprend ceci à propos de ce texte : « La profondeur du mysticisme de Rumi fait surgir la puissante image d’un homme éveillé « au-delà de la religion, au delà de l’hérésie, au-delà de l’athéïsme, au-delà du doute, au-delà de la certitude ». Être au-delà de la certitude constitue le dernier de trois stades successifs, explique Rumi. Il les énumère comme suit : d’abord l’homme adore des humains, des pierres, l’argent ou les éléments ; en second lieu il adore Dieu, et troisièmement il ne dit plus rien ni « j’adore » ni « je n’adore pas ».
© Photo de Natacha Quester-Séméon « Arbre intérieur« , Paris, avril 2006, sélection du groupe « Les Humains Associés » in Flickr.
4 commentaires
Ainsi, une fois le tain de l’ego disparu par l’entremise du polissage, l’être humain devient l’interface, le miroir de la transcendance qui réfléchit la Bonté, la Beauté de l’Être ? L’Être humain deviendrait Cela en Ceci, Ceci en Cela ? Fîhi-mâ-fîhi? 😉
[…] J’ai eu le plaisir de voir cette photo publiée aujourd’hui sur le blog des Humains pour illustrer un extrait du “Mathnawî” du poète soufi Djalâl-od-Dîn Rûmî, intitulé : “La Quête de l’Absolu“. Histoire de la discussion entre les Grecs et les Chinois sur l’art de peindre et de faire des portraits. […]
Dave…
Interesting topic… I’m working in this industry myself and I don’t agree about this in 100%, but I added your page to my bookmarks and hope to see more interesting articles in the future…
Rumi de son vivant parle de choses futuristes (tel que les dangers liés à la fusion de l’atome) se fut est c’est un grand mistique. Entendez par là, un étre érudit, qui portait l’esprit meme de dieu ,un homme habité par l’amour. Et ses poésies ne sont que le reflet de cet ésprit.
Le langage de l’amoureux (non au sens commun)universel et intemporel .
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