Page precedente Sommaire/Indexe Page Suivante

Accueil > Revue Intemporelle > No7 - Bonnes nouvelles pour des temps difficiles

L'association

L'association

No8

No7

No6

Dazibao

AD89

Cyberhumanisme

Forums

Archives

Contacts


Bonnes Nouvelles pour temps difficiles

Paul-Alexis Ladame

Journaliste, fonctionnaire international, et professeur de méthodologie de l'information.
Auteur d'une grande fresque en sept volumes Un témoin du XXe siècle,
co-éditée par les éditions Pourquoi pas..., Genève; éditions Luce Wilquin, Lausanne, 1992.


Qu'est-ce qu'une nouvelle et qu'est-ce que le temps ? Ce sont tous deux des concepts purement subjectifs. Le temps est, et les nouvelles sont, ce que les hommes veulent qu'ils soient. Les hommes, et les femmes, sont rarement d'accord à leur sujet. Ce sont des concepts variables, hautement relatifs.

Qu'est-ce qu'une nouvelle et qu'est-ce que le temps ? Ce sont tous deux des concepts purement subjectifs. Le temps est, et les nouvelles sont, ce que les hommes veulent qu'ils soient. Les hommes, et les femmes, sont rarement d'accord à leur sujet. Ce sont des concepts variables, hautement relatifs.

On dit des nouvelles qu'elles "tombent". C'est juste : elles tombent comme des gouttes de pluie, par milliers, par millions, par milliards. Mais de même que ne vous mouillent que les gouttes de pluie qui vous atteignent, de même ne vous frappent que les nouvelles qui vous concernent directement.

Des autres gouttes on apprend qu'elles ont pu provoquer une inondation, un glissement de terrain, une rupture de barrage quelque part ailleurs, et de même en est-il des nouvelles.

Elles doivent être d'autant plus importantes qu'elles sont plus éloignées. Qui juge de leur importance ? Les médias qui les transmettent. C'est-à-dire les correspondants des agences de presse, imprimées ou électroniques, disposant, aux quatre coins du globe terrestre, de sources plus ou moins fiables.

Comme ils sont bombardés de nouvelles, ils opèrent un choix. Ils trient et ne diffusent qu'une partie des nouvelles recueillies. L'agence pour laquelle ils travaillent en élimine encore une partie; le rédacteur en chef encore une partie.

Et que privilégient-ils ? Les mauvaises nouvelles. Un adage classique de l'économie politique s'énonçait : "La mauvaise monnaie chasse la bonne".

Il en est de même dans l'information. La maxime impérative des masses-médias tient en cinq mots : "Good news is no news ". En français : "Une bonne nouvelle ne vaut pas la peine d'être publiée." (Sous-entendu : les bonnes nouvelles n'intéressent personne - donc ne rapportent pas de sous).

Pour faire plaisir à monsieur Toubon, rappelons que cet adage a été proclamé en bon français il y a plus d'un siècle: "Du sang à la Une !" (Emile de Girardin).

Les démagogues ont corrompu la démocratie en flattant les plus bas instincts d'un peuple qu'ils méprisent souverainement. À la servitude du tirage a succédé la tyrannie de l'audimat, et les roitelets des chaînes de télévision ont suivi servilement le diktat d'Adolf Hitler : "L'information doit s'appuyer toujours sur le sentiment, très peu sur la raison.

Son niveau intellectuel doit être d'autant plus bas que la masse des hommes à toucher est plus nombreuse. Plus sa teneur scientifique est modeste, plus elle s'adresse exclusivement aux sens de la masse, plus son succès sera décisif !" (Mein Kampf, chap. I)

Les "sentiments" que tout démagogue se doit d'exploiter ne sont évidemment pas excités par de "bonnes nouvelles", positives, mais par leur contraire : la peur, la méfiance, la haine, la jalousie, la cruauté, le chauvinisme, le fanatisme.

Il y a mieux - ou pire. Le "responsable de la création" pour France 2 et France 3 décrète : "La télévision est devenue la reine des médias (...) La télévision a encore besoin de tout changer.

Le prototype de ce changement, c'est Christophe Dechavanne, personnage emblématique qui a quelque chose dans le ventre, qui doit émettre des choses..." (Nouveau Quotidien, Lausanne, 18/07/94)

"Émettre quelque chose qu'on a dans le ventre", voilà un programme de "création". Il n'est question ni de coeur, ni d'âme, ni de cerveau, ni même des yeux, des oreilles, de la bouche.

Aucune bonne nouvelle, des excréments.

En vérité, je suis convaincu que "les Temps" ne sont pas "difficiles", ils sont rendus difficiles par les masses-médias. Comme le dit le même "responsable de la création", Carlo Freccero : "Le réel est produit par un média (la télé) qui produit de l'irréel".

Elle force sur la dose de "sang à la Une !" en n'hésitant pas à utiliser, faute de produit réel, des tonnes de "tomato ketchup". En avons-nous vus des cadavres aux ventres gonflés, des yeux d'enfants mangés par des myriades de mouches, des membres mutilés, des églises profanées, des camps de réfugiés surpeuplés, des masses apeurées, des soldats ivres brandissant leurs armes.

En avons-nous entendus des aboiements de canons, des crépitements de mitrailleuses, des explosions de grenades. Les mêmes immeubles éventrés, automobiles incendiées, cratères de bombes, fuyards paniqués.

Seule change l'étiquette : pêle-mêle Liban, Palestine, Iraq, Yougoslavie, Soudan, Angola, Tibet, Erithrée, Yémen, Mozambique, Somalie, Iran, Libéria, Rwanda... Les habitants de tous ces pays, et de bien d'autres encore, vivent quotidiennement des "temps difficiles".

En comparaison, nous sommes bienheureux, repus, comblés. Saturés d'horreur, nous passons à table, plaignant "ces malheureux" entre deux rasades de bordeaux... et en oubliant nos propres pauvres.

Curieusement, pourtant, on ne nous montre jamais, sur le petit écran, d'où vient que ces peuples, "les plus pauvres du monde", disposent, pour s'entre-tuer, d'un arsenal inépuisable : des centaines de tanks, des milliers de canons, des centaines de milliers d'obus, de grenades, de mines antipersonnel qui arrachent si joliment les jambes.

On fait appel à l'ONU, au Conseil de sécurité de l'ONU, pour qu'il mette fin au carnage.

Y mettre fin ? Mais... les cinq membres permanents sont aussi les cinq plus grands marchands de canons du monde. Simple coïncidence sans doute.

On peste contre l'ONU, incapable de ceci, coupable de cela.

On vitupère son secrétaire général, ce pelé, ce galeux, égyptien de surcroit, chrétien copte en plus et, circonstance aggravante, époux d'une Juive. Ah ! Si on le remplaçait, par Delors, libéré de Bruxelles, ou par Bernard Tapie, comme tout irait mieux !

C'est oublier (ou ignorer) que le secrétaire général n'est qu'un fonctionnaire, et l'ONU un instrument, un "machin" comme le disait fort justement le Général, et comme le savent les quelques deux cents États membres et surtout les cinq Grands disposant du droit de veto.

Tant qu'a régné sur le monde la Guerre Froide, l'ONU était comme une voiture remisée au garage en raison d'une pénurie d'essence.

Pendant ce demi-siècle, les temps n'étaient pas difficiles, ils étaient figés, paralysés, congelés par la Guerre Froide.

La plupart des jeunes ne s'en rendent pas compte aujourd'hui, mais leurs parents et leurs grands-parents, pendant les quatre décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, ont vécu sous la terreur permanente d'une guerre nucléaire entre l'URSS et les USA; trente mille ou cinquante mille fois plus meurtrière que les bombes d'Hiroshima et de Nagazaki.

Pendant cette moitié du XXe siècle, les temps n'étaient pas difficiles ; ils étaient angoissants, terrifiants, d'une terreur telle, froide, lancinante, qu'on n'osait même pas en parler.

La montagne, finalement, a accouché d'une souris. Comparé à la grande peur nucléaire, Tchernobyl n'a été qu'un couac insignifiant.

Et puis, soudain, la débacle des glaces a commencé. Le Mur de Berlin s'est écroulé. Le Rideau de fer s'est affaissé.

L'empire totalitaire de Staline s'est disloqué. Au système rigide, glacé, de la terreur bipolaire de deux super-États a succédé l'indescriptible chaos de centaines de petits États-nations anarchiques se proclamant souverains, se querellant et même s'entre-tuant les uns les autres (comme en ex-Yougoslavie) ou "génocidant" des minorités (comme au Rwanda).

Oui, les temps sont toujours difficiles, sur le plan mondial, mais ils ont cessé de justifier la peur d'un soudain foudroiement atomique.

Désormais notre humanité, à peine sortie du berceau il y a moins de 20 000 ans, se porte comme un enfant qui, ayant guéri d'une double pneumonie, souffre maintenant d'une bénigne varicelle.

En soi, ceci est déjà une bonne nouvelle. Pendant cinquante ans, l'homme a failli faire exploser la planète, ou en tous cas anéantir une partie de l'humanité. Maintenant l'homme peut s'atteler à la réparation des dégâts causés à sa biosphère par bêtise ou par cupidité.

On se souvient peut-être des paroles optimistes du président George Bush au lendemain de la Guerre du Golfe. On allait créer un "nouvel ordre mondial". Quel tollé dans les masses-médias. Les uns y ont vu l'arrogante annonce d'une hégémonie américaine sur la planète; les autres de la pure mégalomanie après une victoire inachevée sur Saddam Hussein.

Le peuple américain, lui, y a vu l'annonce de nouvelles responsabilités internationales, alors qu'il en avait plein le dos et ne rêvait qu'à se replier sur lui-même.

Il traversait effectivement des "temps difficiles", le peuple américain. La gigantesque dette accumulée par douze années d'audacieux poker dans la "Guerre des Étoiles", nécessaire pour mettre l'URSS sur les genoux, c'était assez.

Cette "bonne nouvelle" n'en était pas une pour les électeurs américains. N'importe qui, sauf Bush. Ils élirent Clinton. Il promettait de mettre de l'ordre dans la maison et se vantait de ne rien connaître aux affaires du monde.

Pour les Américains c'était une "bonne nouvelle en des temps difficiles". Les services de santé, d'éducation, de sécurité, d'autres encore, avaient pour les électeurs de la grande République l'absolue priorité.

Pourtant, ce à quoi Bush faisait allusion, en parlant d'un "nouvel ordre mondial", on le sait par d'autres déclarations, c'est à une réforme de l'Organisation des nations unies.

Elle traverse vraiment, nous l'avons vu, des "temps difficiles". la "bonne nouvelle", à ce sujet, c'est que tout le monde semble d'accord : il faut réformer l'ONU; et tout le monde parle. Le problème, c'est qu'on est loin d'être d'accord sur ces réformes.

La première, fondamentale, consiste à corriger une hypocrite supercherie. L'ONU, nous l'avons rappelé, n'est qu'un instrument. Question : qui dispose de cet instrument ? La Charte de l'ONU répond par les cinq premiers mots : "Nous, peuples des Nations unies..." Là est la supercherie.

Les peuples n'ont strictement rien à dire. Seuls ont la parole les gouvernements des États-Nations membres de l'ONU. Leur nombre a quadruplé depuis 1945 et celui des démocraties augmente régulièrement. Il n'en reste pas moins que seuls les cinq membres permanents font le poids et les autres de la figuration.

Bonne nouvelle: partout on admet que cette situation n'est plus normale. On parle d'élargir le cénacle à l'Allemagne, au Japon, à l'Inde... Bonne nouvelle : on parle même, à mots couverts encore, mais tout de même, de remplacer la règle de l'unanimité des Permanents, par un vote à la majorité.

Bonne nouvelle : on convient de plus en plus que le système actuel des Casques bleus pour le maintien de la paix, s'il constitue un progrès par rapport à l'époque récente où il n'y avait rien, doit d'urgence être réformé.

Il faut établir une force permanente, capable d'intervenir immédiatement n'importe où dans le monde, et assez puissante pour tuer dans l'oeuf n'importe quelle velléité d'agression.

Bonne nouvelle : on reconnaît de plus en plus, dans le monde entier plus qu'en Europe elle-même, qu'un gouvernement mondial est seul capable de remettre de l'ordre dans l'anarchie née de la fin du système bipolaire de la Guerre Froide; on commence à comprendre que seul un tel gouvernement, issu d'une fédération mondiale, est capable de résoudre les problèmes de biosphère, d'eau, de forêts, d'ozone, de drogues, de surpopulation, etc, qu'aucun État-nation seul, même le plus puissant, ne peut résoudre.

Car les maux qui rendent les "temps difficiles" sur la planète se gaussent des frontières dessinées sur les cartes de géographie.

Bonne nouvelle : partout on commence à se rendre compte que le seul obstacle à une telle évolution vers une vision globale, non seulement économique, mais politique, est le sacro-saint tabou de la souveraineté nationale.

Bonne nouvelle : on commence à se convaincre que non seulement cette notion de souveraineté est archaïque, mais encore qu'elle ne sera guère plus atténuée dans une fédération mondiale qu'elle ne l'est aujourd'hui dans tout État-nation.

Les temps sont difficiles ? Y a-t-il jamais eu des temps faciles ? Il faut les dominer et ne pas leur céder. "Dehors, les pervers et les idolâtres, les impudiques et les meurtriers, et quiconque aime et pratique le mensonge". Ainsi est-ce écrit dans la dernière page des good news, bonne nouvelles, du Nouveau Testament.*


 - Page Precédente  - Sommaire  - Page Suivante
 ?
Les Humains Associés  - L'association  - Les revues  : No 8No 7No 6  - Et si on parlait d'amour...
 - Déclaration des droits de l'être humain  - Liste de diffusion  - Forums thématiques  - Archives  - Equipe Web
Copyleft 1995-2001 Les Humains Associés - Contact : <humains@humains-associes.org>
Page modifiée le: 10/5/2001