UN HOMME, UN SITE LAURENT MOCCOZET ET LE COIN DES GRENOUILLES
On entend souvent parler d'un serveur mais on ignore souvent qui en est son ou ses
concepteurs et quelles intentions les animent. Les quelques lignes
d'explications dans les répertoires sont laconiques...
Créer un site c'est (ou c'était ?) souvent le fruit de la passion
d'une ou de plusieurs personnes qui y consacrent tout leur temps libre, pour
fournir et échanger des informations avec les internautes.
Ceux-ci (les internautes de base : scientifiques, universitaires) ont vu le
réseau évoluer et le connaissent depuis des années.
Peut-être peuvent-ils transmettre cet intérêt aux nouveaux
utilisateurs qui méconnaissent son histoire et son état
d'esprit... La communauté des Internautes étant en perpetuel
mouvement, n'a pas de mémoire collective, les références,
la culture de réseau, la nethique se perderaient-elles ? Bref, les
immigrés du cyberespace seraient-ils sans racine ?
Fiche d'Informations :
Le Coin des Grenouilles
http://www.cnam.fr/fr/
Date de création :
approximativement 3 ans.
Webmaster :
Laurent Moccozet
(Laurent.Moccozet@cui.unige.ch)
Les Humains Associés : Quel est votre metier ?
Laurent Moccozet : Je suis assistant de recherche au Centre Universitaire
d'Informatique de l'université de Genève.
Comment et quand avez-vous découvert l'Internet ? Il y a 6 ans
en arrivant a l'université de Genève, mes collègues m'ont
rapidement initiés aux joies du courrier électronique, des news,
et autres type de services d'Internet. Au-dela du simple divertissement, c'est
un outil de travail quotidien.
Qu'en avez-vous pensé alors ? À ce moment la, web et
surtout les interfaces hypertexte qui ont fait son succès n'existaient
pas encore. L'utilisation des services restait plutôt spartiate, mais, en
particulier à travers les news, j'ai très vite apprécie
l'ambiance de cooperation qui y existait.
La création de vos pages s'est passée comment, faites-vous
cela seul ? La création des pages a deux motivations, d'une part
après avoir largement profité de cet esprit de coopération
existant, je voulais moi aussi y apporter ma petite contribution, et d'autre
part, je connaissais le web depuis pas mal de temps déjà, car il
avait été mis au point au CERN voisin.
Tant qu'il n'a pas eu d'interface hypertexte, web est resté un service
de plus sur Internet. Avec le développement de Mosaic, ça a
été le grand boum. Des serveurs se sont mis à fleurir
partout. En particulier en Amérique du Nord. Je me suis demandé
où la langue francaise était representée, et j'ai commence
à faire une liste des serveurs web francais et francophones. Il n'y a
aucun chauvinisme derrière cette motivation, et de nombreuses ressources
indiquées ne sont pas de langue française, mais en relation avec
la langue ou avec des pays francophones.
À travers des listes de distribution francophones, j'étais en
contact avec des francais à l'etranger. Je constatais à travers
leurs questions qu'ils recherchaient d'une part des informations pratiques,
mais aussi simplement des moyens de rester en contact avec la France. Peu a
peu, les pages se sont mises à lister des ressources francophones dans
tous les domaines : culture, politique, sport, ...
Je gère seul ces pages. Un ami, Vincent Pillet refait le design du
serveur, et s'occupe de la rubrique pratique service militaire, et j'ai aussi
de plus en plus de contacts qui m'envoient soit des adresses qu'ils ont
trouvé intéressantes, soit l'annonce de leur propre serveur.
L'interface est choisie la plus sobre possible, même s'il a fallu avec le
développement des possibilités des serveurs intégrer un
minimum d'icones dans les pages. Le but est que chacun, quelque soit
l'interface qu'il utilise puisse accéder aux informations
présentées. Et puis, cette activité est une activite
annexe pour moi que je realise à des moments perdus. Je me concentre
donc sur le principal : l'information et très peu sur la presentation.
Ce serveur est simplement une collection de liens trier par rubriques. Le
principal du travail est realisé par tous ceux qui réalisent ces
serveurs sur lesquels mes pages pointent. Le gros de mon travail est surtout un
travail de recherche sur le réseau à l'affut des annonces des
nouveaux serveurs.
Comment ont-elles été hebergées au CNAM
? Pendant quelque temps, les serveurs, même les serveurs
d'écoles, d'université ont été le fait d'individus,
et pas des organismes eux-memes. On a vu fleurir des serveurs de tous types.
Puis avec le succès, les institutions se sont inquietées de ce
qui devenait une vitrine. On a vu une reprise en main des serveurs qui sont
devenus plus institutionnels, éliminant souvent ce qui n'était
pas en relation avec l'institution.
La plupart du temps, la notion de réseau coopératif, où on
fournit des services "gratuits" dans tous les sens du terme, en échange
d'autres services échappent complètement aux représentants
des institutions. Bref, j'ai du dans un premier temps arrêter mon
serveur, puis j'ai recu un message de l'administrateur du serveur web du CNAM,
Stephane Bortzmeyer, qui me proposait l'hospitalité sur son serveur.
D'autres serveurs se sont retrouvés sur le CNAM, qui à mon avis
tendait à promouvoir non pas l'organisme CNAM, mais l'outil de
communication qu'est Internet.
À noter que par ricochet, la réputation du CNAM en a sans doute
bénéficié, il n'y a qu'à voir le nombre de fois
où ce serveur est referencé, et cité pour s'en faire une
idée.
Le service que vous proposez, comme le nôtre, est gratuit. Pensez-vous
que des sources d'informations intéressantes non sponsorisées
continueront de vivre sur le réseau ? Le mercantile l'emporterait-il
? Internet n'est qu'un média de plus, il n'y a pas de raison
qu'il échappe au lot commun. De par son origine, il
bénéficie d'une image fausse à mon avis de
société anarchique, qui devrait le mettre à l'abri de
l'économie.
Hors internet n'est pas une société autonome. Sa richesse
au-delà de la technique, c'est l'esprit coopératif qui y a
été développé. La liste de logiciels performants
qui y sont distribués gratuitement est impressionnante.
Tant qu'il est resté à un niveau de développement limite,
il a peu attire l'attention sur lui, de la part du marché et de la loi,
d'où cette impression de pouvoir tout y faire. Pour l'aspect
légal, il y avait et il y a encore un flou quand à celles qui
s'appliquent, aussi une difficulté à les faire appliquer et
à sanctionner leur manquement. Si le côte économique se
développe, le côté légal va aussi s'y
développer.
À terme il va y avoir au minimum deux types de services, les uns qui
continueront sur le principe de la coopération, et d'autres qui seront
à accès payant et qui offriront des services
supplémentaires. Il est évident que les entreprises qui
accèdent à Internet le font dans deux buts :
- s'en servir d'une vitrine, pour promouvoir leur produits, dans ce cas, le
serveur va être d'accès libre, mais les services proposés
de peu d'intérêt général. À noter que la
plupart de ces types de serveurs ont une section qui "respecte" l'esprit
Internet ou l'on propose des informations, services gracieux. Ce "respect" est
tout relatif, car il joue aussi un rôle publicitaire important.
- y proposer des services proprement Internet, comme des journaux on line, ...,
services qui doivent se financer eux-mêmes et donc nécessitent un
abonnement. Mais pourquoi un journal que vous devez payer au kiosque devrait
être gratuit sur Internet ?
Le côté soi-disant "anarchique" d'Internet est fictif. Et plus les
entreprises vont se pencher sur le réseau, plus on va se rendre compte
qu'Internet n'est pas autonome, ni hors législation, ce qui à
terme va sans doute causer la mort de pas mal de serveurs. L'exemple d'un de
mes serveurs préférés consacré à Escher, qui
a dû fermer pour cause de droit d'auteur illustre assez bien l'avenir.
On assiste aussi a des évolutions intéressantes. On a d'abord eu
les serveurs "prouesse technique" ou la présentation importait plus que
le contenu. On voit maintenant des serveurs qui profite de ce nouveau
média pour proposer des contenus originaux. De nombreuse personnes
utilisent maintenant Internet au travers du web comme un moyen non plus de
communication, mais d'expression.
Le mercantile n'a pas à l'emporter, le mercantile est là. Les
nostalgiques de la "pureté" d'Internet se trompe de combat.
L'arrivée du mercantile est inévitable, même si elle ne
présage rien de particulièrement bon.
Ce qui est inquiétant c'est que sous prétexte que sur Internet
c'est l'anarchie, des entreprises l'exploitent comme de vrais mercenaires, sans
même y respecter l'auto-controle qui y règne. Quoique certaines
après leur premiers essais doivent s'en mordre les doigts.
L'évolution mercantile du réseau n'est peut-être pas aussi
inexorable. On assiste a un phénomène de mode, mais quelles
entreprises ont réellement besoin d'Internet ?
Selon les détracteurs des nouvelles technologies, l'Internet
isolerait davantage les personnes qui seraient réduites a ne communiquer
que par écran interposé. Pour vous, cela a amélioré
ou détérioré vos relations humaines ? Je crois que
c'est un faux problème : Internet n'est qu'un moyen de plus pour
communiquer. On n'est pas réduit à communiquer à travers
un combine lorsque l'on téléphone, alors pourquoi cette notion
négative lorsque l'on parle d'Internet ? D'un point de vue personnel,
ça n'améliore ou détériore en aucun cas mes
relations. Je crois qu'on se trompe de débat. Ne transformons pas
Internet en une sorte de fantasme tarte a la crème. Si vous n'avez rien
a dire, Internet ne fera rien pour vous. J'ai le même type de
comportement et les mêmes relations par courrier électronique
qu'avec mes voisins de bureau. Les amis que je me suis fait à travers
Internet , je me les serai fait si je les avais côtoyer par d'autres
moyens.
La néthique se perdrait-elle ? Hé bien elle ne se perd
pas, mais comme Internet s'ouvre de plus en plus, surtout aux particuliers. Ces
particuliers sont dans une grande partie lâchés sur Internet sans
information (je précise pour la plupart), d'où des abus qui
semblent par conséquent en augmentation, mais qui dans l'ensemble sont
assez bien contenus. En outre, les personnes ayant accès a Internet
contiennent la même proportions d'indélicats que la
société en général.
Quels sont les serveurs que vous affectionnez en particulier ? (Je
ne listerai pas les serveurs que j'utilise a titre professionel)
l'ABU : Association des Bibliophiles Universels, cette association qui met a la
disposition des textes en français fait un travail impressionnant. Le
coin de mômes : une réalisation originale a l'intention des
enfants.
Ces deux serveurs sont héberges sur le serveur du CNAM :
http://www.cnam.fr/
Le serveur de Paris : http://www.paris.org/ développé par un
américain fou de Paris.
BabelWeb : http://www.univ-paris8.fr:80/~babelweb/
ADMINET : http://www.ensmp.fr/~scherer/adminet/, consacré a
l'administration française.
Le Médiaport de l'INA : http://www.ina.fr/ et en particulier les archives du monde diplomatique.
Et le réseau demain... ? Ma réponse sur le
mercantilisme sur Internet répond en partie à cette question.
Autre chose à ajouter ? Je peux comparer l'image qui est
donnée d'Internet dans les médias et la réalité. Il
y a parfois des distorsions, comme quand à la suite d'attentats, on
montre sur un serveur le "Manuel du petit terroriste". Je veux rappeler
là encore que Internet n'est qu'un média, dont la technologie
rend l'accès à l'information plus rapide, mais qu'il n'est qu'un
média.
Tous ces documents, comme ce manuel du terroriste sont la plupart du temps des
copies électroniques de documents déjà existants sur
papier. Le terroriste a peut-être accès plus facilement à
l'information par Internet, mais avant Internet il avait déjà les
moyens d'y accéder. Plutôt que de créer des fantasmes sur
ces nouvelles technologies, il serait plus profitable d'en expliquer les
mécanismes.
Ca me fait une peu penser à cette phrase fétiche des
administrations : "c'est l'ordinateur qui s'est trompé". Hors
l'ordinateur ne se trompe pas. Il exécute fidèlement ce qu'un/des
hommes l'ont programme pour. Internet ne propose que ce que les gens y mettent.
Il ne faut pas décharger sur l'outil les faiblesses de son
utilisateur.
Ces opinions ne reflètent bien sur que mon expérience personnelle
d'Internet depuis la petite fenêtre que j'y ai ;o)
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